• L’opération " Jubilee ", le 19 août 1942, fut la première offensive amphibie d’envergure déclenchée par les Alliés durant la Seconde guerre mondiale. L’échec sanglant subi à cette occasion et le courage immense des soldats canadiens ont fait entrer le raid sur Dieppe dans la légende. Retour sur une tentative controversée.

     


    En avril 1942, après le raid allié sur Saint-Nazaire, les Alliés britanniques et américains reprennent le projet d'un raid de grande envergure sur un port français de la Manche, afin de tester les défenses de l’Axe et d’apporter la preuve aux Soviétiques – qui demandent l'ouverture d'un second front – de la difficulté à prendre pied sur la côte française. Le Haut Commandement des opérations combinées porte son choix sur Dieppe pour deux raisons essentielles : la taille de l'agglomération et sa distance, compatible avec les moyens de transport disponibles et autorisant une couverture aérienne constante.

    «... Les différents groupes effectuent une traversée sans histoire jusqu'au moment où l'aile gauche de la flottille se heurte d'une manière inattendue à un petit convoi allemand. »
    «... Les différents groupes effectuent une traversée sans histoire jusqu'au moment où l'aile gauche de la flottille se heurte d'une manière inattendue à un petit convoi allemand. »


    L'opération doit durer douze heures, l'assaut frontal ayant lieu sur la plage de Dieppe, après des débarquements latéraux effectués à Pourville et à Puys pour neutraliser les défenses surplombant la plage principale. Les batteries à longue portée de Varengeville et de Berneval doivent également être détruites avant le débarquement sur Dieppe. Les objectifs du raid sont la destruction des défenses allemandes du littoral, des structures portuaires et de toutes les installations à caractère stratégique telles que dépôts de carburant, stations radio et radar, quartiers généraux ou aérodromes.

    Plus de 6000 hommes doivent débarquer, dont 4965 Canadiens de la 2ème Division comprenant également les équipages de 50 chars Churchill, ainsi que 1200 Britanniques des Commandos et des Royal Marines. La traversée de la Manche est assurée par 250 embarcations diverses, transports de troupes, destroyers, canonnières, vedettes et landing-crafts, alors qu’un millier de chasseurs, de chasseurs-bombardiers et de bombardiers légers sont engagées pour l'appui et la défense de la force de débarquement.

    En août 1942, le secteur de Dieppe est sous la responsabilité de la 302e division de la Wehrmacht. Les effectifs sur les différents sites de débarquement sont de l'ordre de 2500 hommes bien équipés et entraînés (571e régiment de grenadiers, unités de l'artillerie, de la Flak et de la Kriegsmarine), pouvant bénéficier de renforts conséquents dans des délais très courts. Les fortifications y sont déjà redoutables et la puissance de feu considérable, et les défenses conjuguent armes automatiques, mortiers, canons de moyen et de gros calibre, ainsi batteries côtières à longue portée). L'aviation allemande, bien qu'inférieure en nombre, est très efficace et a l'avantage d'être à proximité de ses bases arrières.


    Dans la soirée du 18 août, la force navale de Jubilee appareille de plusieurs ports de la côte Sud de l'Angleterre. Les différents groupes effectuent une traversée sans histoire jusqu'au moment où, à quelques miles de la côte, l'aile gauche de la flottille, qui transportait le 3e Commando britannique N°3, se heurte d'une manière inattendue à un petit convoi allemand faisant route de Boulogne vers Dieppe. Il est alors 3h45. Le combat qui éclate désorganise complètement l'attaque prévue sur Berneval et met en état d'alerte une partie des défenses ennemies. Un petit groupe de Commandos réussit malgré tout à neutraliser la batterie pendant une heure et demie.

     
    A 4h50, à l'autre extrémité de la zone d'opération, le 4e Commando prend pied à deux endroits de la côte, pour prendre en tenaille la batterie de Varengeville. Le succès est total : la batterie est détruite, les commandos rembarquent vers 8h15 avec un minimum de pertes.

    A Puys, le Royal Regiment of Canada est mis à terre à 5h06, en retard sur l'heure prévue. Il fait jour, les défenseurs sont aux aguets, surplombant les assaillants qui tentent vainement de franchir le haut mur de béton qui barre la petite plage, sous un déluge de feu, sans aucune possibilité d'abri. En moins d'une heure, sur les 600 hommes débarqués, les Canadiens perdent 225 tués, le reste de l'effectif est blessé ou capturé, et seulement une soixantaine rentre en Angleterre.

    «... L’opération "Jubilee" se solde par un bilan dramatique : les alliés ont 1380 tués dont 913 Canadiens, 1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. »
    «... L’opération "Jubilee" se solde par un bilan dramatique : les alliés ont 1380 tués dont 913 Canadiens, 1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. »
    La plage de Pourville, objectif du South Saskatchewan et des Cameron Highlanders, est atteinte à 4h50 et le village investi sans trop de difficultés. La défense allemande va ensuite progressivement se durcir et, malgré des avancées jusqu'à Petit Appeville dans la vallée et jusqu'au deux tiers des pentes menant vers Dieppe, les assaillants ne peuvent poursuivre leur effort et doivent se replier en fin de matinée pour rembarquer avec de sérieuses pertes – 151 tués, 266 prisonniers et 269 blessés.

    A 5h20, après un bombardement préparatoire très insuffisant, les deux premières vagues du Royal Hamilton et des Essex Scottish prennent pied sur la plage de Dieppe. Les chars du 14th Canadian Army Tank Regiment qui auraient dû les accompagner ne débarquent, à grand peine, que quinze minutes plus tard et ne peuvent appuyer efficacement l'avancée des fantassins sur l'esplanade découverte, battue par un feu d'enfer provenant des falaises et des maisons du front de mer. Même ceux qui parviennent à monter sur l'esplanade ne peuvent ensuite franchir les murs de béton barrant chaque accès en direction du centre-ville. Le casino est occupé par des éléments du Royal Hamilton, certains petits groupes parviennent même à franchir les premières rangées de maisons et à pénétrer jusqu'à l'église Saint Rémy.

    Sur la partie Est de la plage, les hommes de l'Essex Scottish, encore plus exposés, sont très rapidement bloqués par l'intensité des tirs allemands - l'échec des troupes à Pourville et surtout à Puys laissait aux Allemands l'intégralité de leur puissance de feu. Le Commandement allié, basé sur le HMS Cale, ne voyant rien de ce qui se passait à terre à cause de la fumée extrêmement dense et mal renseigné par des transmissions défaillantes, expédie de nouvelles vagues en renfort, Fusiliers Mont Royal et Commandos des Royal Marines, qui arrivent sur la plage dans une confusion totale et sans espoir d'améliorer une situation déjà compromise. La bataille meurtrière va continuer jusqu'à la fin de la matinée, et l'ordre de repli est donné vers 11 heures aux survivants qui tentent de regagner les embarcations venues les récupérer. Sur les 2000 hommes débarqués, 400 sont morts, et seulement 400 réussissent à rejoindre l'Angleterre. Les combats sont quasiment terminés deux heures plus tard.

    L’opération "Jubilee" se solde par un bilan dramatique : les alliés ont 1380 tués dont 913 Canadiens, 1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. Même la bataille aérienne se révèle désastreuse : la RAF perd 107 avions, contre une quarantaine pour la Luftwaffe. Parmi la population civile, dans la région dieppoise, le bilan s'élève à 48 tués et une centaine de blessés. Les Allemands ont 345 tués ou disparus et 268 blessés. Ainsi, près de 1800 personnes perdent la vie dans un affrontement de moins de dix heures, un chiffre qui traduit l'intensité meurtrière de la bataille de Dieppe.

    Le résultat et les controverses ne peuvent faire oublier le sacrifice des combattants, et l'adversaire fut le premier à reconnaître que la responsabilité du désastre ne leur incombait pas. Les rapports rédigés par les commandants du LXXXIe Corps d’Armée et de la 302e division relèvent ainsi que "le grand nombre de prisonniers peut laisser des doutes sur la valeur des unités canadiennes et britanniques impliquées dans le raid. Loin de là. Les soldats ennemis, presque tous Canadiens, ont fait preuve d'habileté et de bravoure partout où il leur a été possible d'engager le combat... Ce n'est pas le manque de courage, mais la concentration du feu défensif de notre artillerie et de nos armes lourdes d'infanterie qui a empêché l'ennemi de gagner du terrain."

    La perte d'une partie de l'effet de surprise, après l'engagement naval au large de Berneval, ne peut expliquer à lui seul la faillite de l’opération. En réalité, la cause de l'échec du raid sur Dieppe est essentiellement la sous-estimation des forces adverses, mais le manque d'appui naval et aérien avant la mise à terre, l'emploi de matériels inadaptés, la carence des transmissions ont constitué des facteurs aggravants.

    Les échecs militaires font toujours l'objet de polémiques, surtout lorsqu'ils sont coûteux en vies humaines. L’opération "Jubilee" n'a pas échappé à cette règle, et bien que les leçons apportèrent de précieuses indications pour la préparation du débarquement sur les côtes de la Basse-Normandie, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur son opportunité et son utilité quant aux opérations futures.

    Deux ans après le raid de Dieppe, les Canadiens débarquèrent à Juno à l'aube du 6 juin 1944 et participèrent aux combats de la bataille de Normandie. Enfin, 1er septembre 1944, c'est la 2ème Division canadienne qui libéra Dieppe.


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  • Trente ans après, le raid palestinien dans le village olympique et les mesures lamentables prises par les autorités allemandes restent un symbole des faiblesses européennes face au terrorisme. Même s'il a déclenché ou orienté la formation de nombreuses unités antiterroristes, le massacre de Munich reste une page noire de l'histoire récente.

     

    Le 5 septembre 1972, huit membres lourdement armés du groupe terroriste Septembre Noir, une faction de l'OLP, arrivèrent dans la banlieue de Munich et escaladèrent la barrière protégeant les milliers d'athlètes dormant dans le village olympique. Portant des fusils d'assaut et des grenades, ils se ruèrent jusqu'à l'appartement n°1, au 31 de la Connollystrasse, le bâtiment hébergeant la délégation israéliens aux "Jeux de la Paix et de la Joie", et se glissèrent dans le foyer. Yossef Gutfreund, un arbitre de lutte mesurant 1m96, fut le seul à être réveillé par les bruits étouffés de l'extérieur. Alors qu'il marchait vers la porte, elle s'ouvrit de quelques centimètres. Le sommeil sombra soudain dans l'horreur lorsque les Palestiniens firent irruption à l'intérieur et capturèrent les Israéliens.

     


    Dans l'appartement n°3, les terroristes trouvèrent six lutteurs et haltérophiles israéliens. Ils les firent mettre en ligne et retournèrent à l'appartement n°1. Gad Tsabari, l'un des lutteurs, avait compris que leur situation était désespérée ; en une explosion d'énergie, il repoussa un terroriste et s'échappa par des escaliers. Moshe Weinberg, son coach, tenta de l'aider mais fut mortellement blessé par une balle.

    Yossef Romano refusa également de rester coi. Alors qu'il était poussé vers le haut pour rejoindre le premier groupe de captifs, il s'élance sur un terroriste et fut abattu. Père de trois jeunes filles, Yossef fut le deuxième Israélien à trouver la mort. Et c'est ainsi que commença le massacre des Olympiades de Munich, la première grande atrocité commise au nom de la libération palestinienne en-dehors du Proche-Orient.



    Une négligence criminelle


    Le 30e anniversaire de la crise de Munich est un rappel opportun de l'impuissance face au terrorisme. Les autorités allemandes firent preuve à cette occasion d'une négligence criminelle. Des policiers ridiculement déguisés en chefs de cuisine déposèrent de la nourriture devant le 31 Connollystrasse, pensant qu'ils pouvaient d'une certaine manière maîtriser les militants bien armés. Des représentants du Gouvernement supplièrent littéralement les terroristes d'abandonner et leur offrirent de l'argent pour se rendre. Ils ne pouvaient pas croire que les Palestiniens allaient ruiner les Jeux les plus coûteux à l'époque, et mis sur pied en partie pour effacer les souvenirs de l'Holocauste.

    Les annonces de l'attaque étaient à la une des médias autour du globe lorsque les Palestiniens exprimèrent leurs exigences : échanger leurs 9 otages restants contre 234 prisonniers détenus dans des prisons israéliennes et 2 en Allemagne. C'était un échange humain direct, quoique inégal, et le premier délai était fixé à 0900. Les Allemands annoncèrent à Luttif Issa, le chef de Septembre Noir, que les fonctionnaires israéliens avaient besoin de plus de temps pour localiser les prisonniers, et ce délai fut prolongé. A 1000, la panique gagna le Gouvernement allemand lorsque ce dernier comprit qu'aucune partie n'était vouée au compromis.

     
    Les organisateurs des Olympiades suspendirent rapidement les Jeux, et plus de 50'000 spectateurs commencèrent à se rassembler autour du périmètre protégé. Une audience télévisée de 900 millions de téléspectateurs dans plus de 100 pays observa la figure archétypale d'un terroriste, un bas sur la tête, qui émergea du n°31 pour vérifier la position des officiers de police. Les présentateurs vedettes aménagèrent leurs agendas lorsque le siège devint un spectacle global. Finalement, les Allemands tentèrent à contre-cœur une opération de secours. Douze officiers de police mal entraînés montèrent sur le toit du bâtiment en vue d'un assaut. Des milliers de spectateurs, observant la police à partir d'une petite colline, criaient des conseils tactiques comme dans une pantomime ("Baisse toi ! Baisse toi !"). Les officiers finirent par comprendre que les terroristes observaient en direct le déroulement des événements sur leurs propres télévisions.

    En début de soirée, Issa demandait un avion et déclara aux représentants allemands que ses hommes et les otages s'envoleraient pour le Proche-Orient. Certains dirigeants étaient enchantés de pouvoir déplacer la crise hors des Olympiades, alors que d'autres décidèrent de lancer une opération de libération lorsque les otages monteraient à bord de l'avion. Ils acceptèrent de transporter tout le monde en hélicoptère jusqu'à l'aérodrome de Fürstenfeldbruck, en-dehors de Munich, où un Boeing 727 les embarquerait hors du pays.

    Peu après 2200, un bus emmena les Palestiniens et les Israéliens aveuglés par des bandeaux jusqu'aux hélicoptères attendant sur la place Olympique. Hans Dietrich Genscher, le Ministre de l'Intérieur allemand, les observait. "Un, deux, trois, quatre…", dit-il, sursautant lorsqu'il compta 8 terroristes. Durant toute la journée, le Gouvernement de Bonn pensait qu'il n'y avait que 5 Palestiniens, et seuls 5 tireurs d'élite étaient en position à Fürstenfeldbruck.



    Massacre sur l'aéroport

    Le pire était à venir. Les Allemands avaient 17 officiers cachés dans le 727 pour capturer ou tuer les 2 premiers terroristes, mais ils commencèrent à s'inquiéter au sujet de leur mission, et craignaient pour leur propre sécurité dans l'avion. Un officier organisa un vote et, dans un acte de pure lâcheté, les 17 décidèrent de partir. Les hélicoptères transportant les terroristes étaient déjà à l'atterrissage, de sorte que le temps manquait pour dissimuler une nouvelle équipe dans le Boeing.

    Les Palestiniens avancèrent sur le tarmac, trouvèrent l'avion vide et réalisèrent qu'il s'agissait d'un piège. Les tireurs d'élite ouvrirent le feu par deux tirs imprécis et la "libération" commença. Le chaos fut immédiat ; les terroristes se couchèrent dans la pénombre sous les hélicoptères et commencèrent à cribler de balles l'aéroport.

     
    La bataille fit rage pendant plus d'une heure. Les officiers allemands s'abritèrent dans les bâtiments de l'aéroport, et il semble possible que leur courage ait été découragé par un anti-sémitisme latent. Finalement, des véhicules blindés avancèrent maladroitement sur l'aérodrome. Le tireur d'une automitrailleuse toucha deux hommes de son camp et les terroristes pensèrent être sur le point d'être mitraillés. Dans un hélicoptère, l'un d'entre eux abattit 4 otages avant qu'un autre se relève du tarmac et y lance une grenade ; l'explosion mit feu au réservoir de carburant, et les Israéliens furent carbonisés. Un autre terroriste tua ensuite les otages de l'autre hélicoptère. Les Allemands présents sur l'aérodrome sont toujours hantés par leurs cris. Les 11 Israéliens perdirent la vie, et 3 Palestiniens survécurent.


    Pendant plus de 20 ans, les fonctionnaires allemands refusèrent de donner des informations sur le déroulement exact des événements à Munich, craignant des accusations d'anti-sémitisme, et affirmant qu'il n'existait qu'un bref rapport sur l'attaque. Mais voici quelques années, des archives contenant des milliers de fichiers furent rendues publiques. Les erreurs faites par les Allemands étaient stupéfiantes. Ils n'avaient que 5 tireurs mal entraînés, dotés de fusils inadéquats, sous un mauvais éclairage, sans radio, ni gilet pare-éclats ou casque, et sans lunette adaptée ou équipement infrarouge.

    Interpol avait émis une alarme quelques semaines avant le début des Jeux selon laquelle des militants palestiniens se rassemblaient en Europe, et les renseignements allemands avaient averti la police de Munich que les Palestiniens planifiaient "quelque chose". Mais rien ne fut fait pour protéger les invités les plus vulnérables. Et l'étouffement de l'affaire continue : des fonctionnaires allemands ont récemment essayé de réduire des témoins au silence, et des bandes vidéos montrant les événements à Fürstenfeldbruck ont été volés.

    Trente ans après le massacre, la tragédie continue à avoir des échos au Moyen-Orient. Quelques politiciens européens semblent toujours ne pas comprendre que stopper des attaques terroristes similaires exige une approche double : résoudre le problème du Moyen-Orient au bénéfice des deux parties, et cibler férocement les psychopathes qui dirigent les organisations terroristes.


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  • En s’emparant de Falloujah, les troupes de la coalition et du Gouvernement irakien ont infligé des pertes considérables à l’insurrection sunnite et brisé le symbole tiré de son unique et éphémère succès.


    Alors que sa phase de nettoyage se poursuit, la deuxième bataille de Falloujah est déjà devenue un modèle d’offensive en milieu urbain, une référence dans les opérations militaires modernes. Le fait même qu’elle ait eu lieu représente son principal succès : pour une armée engagée dans une mission de contre-insurrection, contraindre un adversaire à combattre pied à pied dans un environnement favorable à l’emploi des armes lourdes constitue en effet une situation idéale. Le corps expéditionnaire français en Indochine est allé jusqu’à s’enterrer à Dien Bien Phu pour mener un combat symétrique, alors que les Etats-Unis ont perdu la guerre du Vietnam sans avoir jamais réussi à y parvenir.



    La ville de Falloujah devait être le tombeau des Américains, mais elle s’est avérée celui de leurs ennemis. Les chiffres annoncés par la coalition ne laissent aucun doute sur l’issue de la bataille : avec au moins 1200 insurgents tués et plus de 1000 capturés, contre 54 soldats US et 8 soldats Irakiens tués, c’est bien un combat à sens unique qui a été mené. En soi, il démontre une nouvelle fois la stupéfiante efficacité des unités américaines en milieu urbain, capables de prendre des villes entières avec 10 fois moins de pertes que l’histoire récente nous l’enseigne. Ce sont toutefois les quantités énormes d’armes, de munitions et de renseignements saisis qui montrent la vraie dimension de la bataille : un piège mortel qui balaie tout espoir de victoire pour la guérilla.


    Une erreur d'appréciation mortelle

    Les insurgents considéraient Falloujah comme un sanctuaire inviolable. En avril dernier, 2000 Marines avaient conquis les deux tiers de la ville et tué 600 combattants adverses pour 15 morts dans leur camp, mais 3 semaines de combats surmédiatisés menaçaient alors de dresser le pays contre les troupes américaines ; pour ne pas perdre l’Irak, la coalition avait pris la décision de perdre Falloujah. Les membres de la guérilla – et certains commentateurs européens – ont cru voir dans le retrait des Marines la preuve d’une victoire éclatante, alors même que le bilan des combats indiquait une défaite militaire. Mais ce sont surtout les médias arabes, en faisant de Falloujah un symbole de résistance populaire, qui ont amené les insurgents à provoquer leur propre perte.

    Sûrs de leur fait, ils ont effet transformé la ville en un bastion capital, une base d’opérations pour la plupart de leurs activités dans le triangle sunnite. Le nombre de combattants présents, étrangers et irakiens, a rapidement augmenté. De nombreux dépôts d’armes et d’explosifs ont été constitués et dissimulés. Des usines fabriquant des explosifs improvisés ont été ouvertes. Des studios vidéos rudimentaires ont été installés pour filmer et exécuter les otages. Parallèlement, le joug des islamistes s’est étendu à toute la population et lui a imposé une existence aussi carcérale que feu le régime des Taliban. En d’autres termes, les insurgents ont concentré leurs forces, leurs ressources et leurs éléments de commandement à Falloujah, tout en ruinant leur image au fil de leurs atrocités.

    Pendant ce temps, les Américains ont identifié les causes de leur échec : la lenteur relative de l’offensive, en raison d’effectifs insuffisants pour maintenir un rythme constant ; l’inefficacité des armes d’appui, due aux précautions nécessaires pour épargner au maximum la population civile ; la propagande des insurgents, qui a réussi à propager l’image fallacieuse de frappes indiscriminées jusque dans les médias occidentaux ; et la légitimité incertaine de l’attaque, puisque la décision relevait d’une puissance occupante. Ils ont donc conclu qu’une offensive destinée à prendre Falloujah pouvait aboutir, à condition d’obtenir une supériorité numérique confortable, d’écarter la majorité des non combattants, de neutraliser la propagande adverse et d’associer étroitement les Irakiens à l’attaque.

    La préparation de celle-ci a commencé au mois d’août, lorsque la ville a été prise dans un véritable étau psychologique : bouclage des principaux axes, survol permanent par des drones, frappes aériennes quasi quotidiennes et distribution de tracts. Confrontés à l’inéluctabilité de l’offensive coalisée et à la tyrannie des groupes islamistes, les résidants de Falloujah sont progressivement partis ; d’après le Croissant Rouge irakien, entre 150 et 175 familles sont restées, soit environ 1% du total. Une guérilla incapable de se fondre au sein de la population perd sa principale protection, mais seule une partie des insurgents a pris la fuite. La seconde bataille de Falloujah s’est déroulée sans boucliers humains, sans victimes civiles à même de dominer les reflets des combats.

    Pour conquérir rapidement la ville, qui s’étend sur une surface de 20 km2 et compte quelque 50'000 bâtiments, la coalition a réuni l’équivalent d’une division – soit 10'000 Marines et soldats avec 2000 militaires irakiens – contre environ 3000 insurgents. Le 8 novembre, 6 bataillons en ligne se sont lancés dans une offensive du nord au sud, qui aboutira après une semaine de combats acharnés au contrôle de tout l’objectif d’attaque. Mais cette opération a été largement appuyée, la veille de son déclenchement, par une action destinée à neutraliser la propagande des insurgents : la capture de l’hôpital principal de Falloujah par des forces spéciales, afin d’éviter que les bilans incroyablement rapides et lourds en pertes civiles de son corps médical ne placent les autorités irakiennes dans une situation intenable.

    La prise de Falloujah a ainsi comporté une dimension sémantique essentielle : la ville érigée en symbole de résistance populaire a été désertée par sa population et conquise de manière irrésistible par des soldats américains et irakiens. Cette importance des perceptions a été confirmée par les offensives précipitées lancées par les insurgés dans le reste du triangle sunnite et par l’exploitation faite d’un incident au cours duquel un Marine a apparemment abattu dans une mosquée un insurgent censé être mort. Mais l’incapacité du commandement militaire américain à contrôler en permanence son message n’a pas pour autant déclenché des réactions violentes ou solidaires dans le reste de l’Irak. Les chiites et les kurdes ont au contraire assisté sans déplaisir à une défaite majeure de l’insurrection sunnite, qui a perdu sa principale base d’opérations.

    En l’espace de 6 mois, Falloujah était en effet devenue un gigantesque arsenal regorgeant d’armes et de munitions, systématiquement stockées dans des bâtiments civils – 60% des mosquées dans toute la ville, et jusqu’à 80% des habitations dans certains quartiers – pour éviter les frappes aériennes ou les exploiter à des fins de propagande ; au total, les unités américaines en ont capturé plus de 1000 tonnes, réparties dans 203 caches majeures, tout en démantelant 11 fabriques d’explosifs improvisés. Mais Falloujah était également le centre nerveux de l’insurrection sunnite, et l’élimination brutale ou la fuite précipitée de ses dirigeants ont permis la saisie d’une véritable mine de renseignements : les Américains en ont plus appris sur leurs ennemis en une semaine à Falloujah que pendant toute une année.


    Il serait naturellement erroné de penser que le conflit de basse intensité que connaît l’Irak depuis la chute de Saddam Hussein va cesser avec la chute du principal bastion insurgé. Toutefois, la bataille de Falloujah fait partie d’une campagne lancée en octobre dernier dans tout le triangle sunnite afin d’empêcher la guérilla de s’opposer à la tenue d’élections démocratiques, et ses effets se feront sentir des mois durant. Elle montre également que l’administration américaine et le gouvernement irakien continuent de faire cause commune, malgré les divergences inévitables qui découlent des différences d’intérêts. Mais cette bataille revêt surtout une valeur symbolique, un règlement de comptes longtemps différé, et rappelle que les ennemis de la coalition restent incapables d’obtenir le moindre succès durable.


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  •  L’avancée de la 2e DB du général Leclerc sur Strasbourg illustre parfaitement les rapports entre tactique et stratégie. Elle montre comment l’action secondaire mais déterminée d’un simple sous-groupement tactique peut faire basculer le rapport de forces et, immédiatement élargie par un chef prestigieux, engendrer une victoire majeure.

    Le cadre de l'action était le suivant : en novembre 1944, dans le cadre de l'offensive générale en direction du Rhin, le 15e corps US, auquel appartient la 2e DB, attaque en direction de Saverne du 13 au 17 du mois. Les 44e et 79e DI US doivent attaquer le dispositif défensif allemand de la "Vorvogesenstellung" qui interdit les trouées des Vosges. Cette ligne de défense s'accroche à des villages installés en point d'appui qui sont cerclés de tranchées et couverts sur les voies d'accès par des abattis ou des inondations. La 2e DB est en réserve et doit exploiter la percée des divisons US.

    Lancée avec une météo défavorable, la rupture initiale échoue car l'ennemi s'accroche au terrain et colmate les brèches. Leclerc anticipe sur les ordres pour l'exploitation de la rupture et, tout en gardant le gros de ses forces en réserve, il prélève des éléments de sa division qui reçoivent la mission de flanc-garder vers le nord et vers l'est les troupes américaines et de pénétrer le dispositif ennemi. L’action des éléments de tête de la division va alors illustrer les directives de Foch et Ludendorf données aux chefs de corps d’infanterie avant les assauts décisifs de 1918 : “Progresser de façon indépendante dès que la première trouée est faite, avec le soutien de l’artillerie d’accompagnement.”

     

    La recherche de la rupture

    Le 17 novembre, dans un terrain parsemé de mines, d’abattis et de bourbiers dont il faut fréquemment extirper sous le feu les véhicules, le groupement de tête (Morel-Deville) attaque avec fougue. "Au milieu de ses gens jetés dans la mêlée", écrit le général Rouvillois, "Morel-Deville conjugue le culte que portent ses spahis à l’infiltration hardie, le sens qu’ont de l’abordage ses blindés, la pugnacité de ses fantassins dans les corps à corps et la mobilité des feux de ses artilleurs, dont cadres et servants ont une mentalité de volants. Profitant, à l’origine des tirs d’artillerie massifs des deux divisions US, à la jointure desquelles il livre la bataille de rupture, ce cavalier blindé crée une faille dans laquelle il se lance impétueusement avec ses seuls moyens. Alternativement, il se déploie pour rechercher une fissure profonde, puis se recroqueville pour donner le coup de boutoir. Il encercle le réduit de Nonhigny sur la ligne d’arrêt allemande et s’en empare, puis il fait volte-face et balaie à revers les avancées de la position. Il met alors cap au sud, prend Parux et appuie le 18 au matin les éléments débouchant à sa droite de Badonvillier dont le sous-groupement La Horie s’est emparé la veille par une charge audacieuse au moment où le commandement adverse y jetait en renfort un bataillon de chasseurs. Sans laisser à l’ennemi le temps de souffler, il s’engage dans la forêt, détruit les dernières résistances. Atteignant au crépuscule Cirey, il bondit jusqu’aux lisières nord et est de la ville et s’assure dans la nuit la possession des ponts intacts sur la Vezouze. Le lendemain 19, avec des réservoirs et des soutes à peu près vides, il marche sur Lafrimbolle, où il est stoppé par un bataillon de chasseurs s’appuyant sur des destructions."

    Le 19 au matin, Leclerc se rend à Cirey. Malgré les tirs qui continuent, il veut constater par lui-même la situation tactique de l'avant et être là "où seul le chef, informé du déroulement de la bataille et disposant de réserves, peut arracher sur-le-champ une victoire qui serait coûteuse quelques heures plus tard." En arrivant sur place, Leclerc connaît les derniers succès des deux divisions US, qui maintiennent le rythme de leurs attaques malgré les intempéries. Leur pénétration profonde dans le dispositif adverse fait perdre à l'ennemi la liberté d'action. Il estime donc que la rupture de la ligne d’arrêt ennemie doit avoir lieu au plus tôt et que l’exploitation doit immédiatement suivre, afin de ne pas permettre à l'ennemi de se réorganiser pour diriger une manœuvre retardatrice. "Course au cols, telle est la volonté qui doit ruisseler en cascade jusqu’au chef de patrouille. Il communiquera le même perçant à tous les exécutants qui adapteront leur manœuvre au terrain : des Vosges, deux routes escarpées plus favorables aux embouteillages qu’aux déploiements et sur le plateau lorrain, variété de chemins qui permettent des chevauchées lointaines."

    Leclerc aère son dispositif en confiant au groupement Guillebon des missions de flanc-garde agressive. Il rassemble en hâte le groupement Langlade et le lance vers le lointain carrefour de Rethal, sur deux itinéraires dont les sous-groupements Morel-Deville et Dio fouillent déjà les abords. Les patrouilles de ces deux sous-groupements livrent des renseignements et des cheminements qui réduisent le délai nécessaire à une action en force.

    C’est dans la nuit du 19 au 20 que se joue le succès du lendemain. Au sous-groupement Minjonnet, axe ouest, les reconnaissances profondes interdisent au détachement blindé-porté allemand qui lui fait face, de s’esquiver vers le nord et de couvrir à temps le carrefour de Rethal. Au sous-groupement Massu, sur l’axe est, des infiltrations hardies amorcent l’encerclement d’un bataillon de chasseurs qui, après une violente préparation d’artillerie, sera traité au corps à corps dans les premières heures du jour.

    "Et sur-le-champ, c’est l’exploitation. Ce passage de la rupture à la poursuite", raconte le général Rouvillois, "impose une adaptation immédiate du dispositif à une conjoncture favorable mais fugitive. Les difficultés sont multiples : enchevêtrement d’unités éprouvées, destructions et abattis renforcés par des véhicules en flammes auprès desquels quelques isolés persistent à faire le coup de feu. Il est impératif de prendre l’ennemi de vitesse, ce n’est pas une question d’heures mais de minutes pour que le repli ennemi se transforme en déroute, la retraite en débâcle, parce que les cadres adverses harcelés, débordés, épuisés, perdent toute notion d’anticipation et, en particulier le réflexe de bondir à temps sur les points de décrochage préparés autour desquels ils pourraient se rétablir." Vingt-cinq kilomètres sont ainsi parcourus sans arrêts et le carrefour de Rethal est occupé au crépuscule.


    La prise de Strasbourg


    Dans cette ambiance de victoire, Leclerc anticipe de nouveau sur la prise de Saverne qui est son objectif principal et il inscrit déjà sur la carte la manœuvre vers le Rhin et le déploiement logistique qui le conditionne, déploiement qui doit s'effectuer sur des itinéraires peu nombreux du fait des destructions. La décision du 21 prépare la charge sur Strasbourg et ordonne le nettoyage du col de Saverne, artère vitale des opérations dans la plaine d’Alsace.

    L’ordre que donne Leclerc pour le 23 précise :

    Intention :

    prendre Strasbourg et si possible Kehl,
    continuer à surveiller la trouée de Saverne,
    se garder face au sud, empêchant toute réaction ennemie venant en particulier de Molsheim.


    Consignes particulières :

    ne pas s’attarder, mais charger au maximum,
    contourner les résistances et éventuellement ne pas hésiter à modifier les axes prescrits sous réserve de ne pas encombrer les axes voisins,
    ne pas assurer la garde des prisonniers, mais les désarmer et détruire leurs armes,
    aussitôt qu’un élément aura franchi le pont de Kehl, détruire les défenses et assurer la neutralisation des destructions préparées.

    Laissons maintenant le général Rouvillois raconter cette journée mémorable. "Dans l’aurore tardive du 23, débouche la charge. Strasbourg 35 kilomètres, la pluie cingle les visages des chefs de char dressés hors de leurs tourelles et aveugle les tireurs derrière leurs périscopes. Les sous-groupements Massu, Putz, Cantarel sont rapidement sur la ligne des forts où ils se heurtent à une solide défense couverte par un fossé antichar. Tandis que Putz franchit de vive force le fossé antichars, le sous-groupement Rouvillois sur l’axe nord avance sans rencontrer de résistance sérieuse. Accélérant encore le rythme, le détachement arrive en vue de la ligne des forts. Les véhicules ennemis qui se profilent sur la crête, les tirailleurs qui gagnent en courant les tranchées pleines d’eau, sont traités au canon et à la mitrailleuse. La résistance adverse est de courte durée. Sous la pluie battante, la course continue et, très vite, c’est le déboulé à travers les rues de Strasbourg. La surprise est totale. Sans tarder, la réaction ennemie s’amorce : de certaines fenêtres, de quelques coins de rue, puis des casernes transformées en points d’appui, partent des coups de feu sur les équipages peu nombreux dans la capitale alsacienne."


    "Renforcé par Massu qui a contourné la ligne des forts par le nord, tout en commençant des pourparlers pour obtenir la reddition de la kommandantur, le sous-groupement de tête fonce vers le pont de Kehl. Derrière arrive l’artillerie que Langlade a lancée sur l’axe nord dès qu’il l’a su libre. Arrivé en vue du Petit-Rhin, le sous-groupement de tête bouscule les soldats allemands chargés de garder le pont. Au total 180 prisonniers qui, s’ils n’avaient été paralysés par la surprise, auraient pu constituer un point d’amarrage pour les détachements et les isolés refluant en désordre à la recherche d’un refuge. Entre le Petit-Rhin et le Rhin, la surprise ne joue plus et la résistance devient farouche. Attaqués dans leurs tanières au canon, les héroïques défenseurs du dernier redan tombent sur leurs armes mais ne capitulent pas. Renforcés à temps, ils brisent l’ultime assaut vers la terre allemande."

    "L’ennemi cependant ne reprendra pas pied dans Strasbourg car la division s’y concentre. Avant la tombée de la nuit, le général Leclerc dont les forces tiennent tous les quartiers de Strasbourg et bordent le Rhin fait hisser les couleurs sur la flèche de la cathédrale. Le serment du 2 mars 1941 après la prise de l'oasis de Koufra est tenu ! (Jurer de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotterons sur la cathédrale de Strasbourg !)"


    Ainsi, Strasbourg, capitale symbolique fut, de fait, prise à 80 kilomètres de sa cathédrale par l’entreprise secondaire d’une troupe mineure, immédiatement élargie par un chef prestigieux à la dimension politique et stratégique.


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  • L'attentat suicide est aujourd'hui la forme d'attaque privilégiée au sein des organisations terroristes fondamentalistes. Puisant aux sources d'une idéologie extrémiste séculaire, le martyre autodestructeur est ainsi le fruit d'un endoctrinement permanent qui le rend particulièrement dangereux, et qui tôt ou tard déferlera en Europe occidentale.

    Chaque mois en Europe et en Occident, grâce aux services de renseignements et de protection des territoires, des attentats sont déjoués. Différents groupes terroristes sévissent aujourd'hui. Si certains restent dans la ligne classique des attentats à l'explosif, d'autres, représentant les nouvelles menaces, démontrent au contraire la volonté d'entrer dans une nouvelle forme de destruction. Les attentats suicides, mais aussi les attaques biologiques, chimiques et nucléaires font partie de leur éventail de possibilités d'action.

    En matière de terrorisme, il y a eu les attentats de Dar es Salam, de Nairobi, l'attentat du World Trade Center en 1993, puis ceux du 11 septembre 2001, le détournement de l'avion d'Air France à Alger, la tuerie de touristes occidentaux dans un temple en Égypte et l'attentat à Karachi contre des Français… Le lien entre ces attentats : le fondamentalisme islamiste, celui d'Al-Qaïda, des Taliban, de Al Gama'a Al Islamiyya et du GIA, mais aussi le terrorisme proche-oriental des tueurs kamikazes palestiniens issus d'organisations terroristes aux mêmes origines fondamentalistes.

    Les revendications d'Al-Qaïda, du Hamas ou encore celles des Frères Musulmans sont autant de repères qui, isolés, ne rendent pas évidentes leurs connexions avec les autres sectes et groupes terroristes, et tendent à intégrer leurs actions dans le cadre du militantisme. Une vision historique et globale fait au contraire apparaître des similitudes flagrantes, troublantes et inquiétantes, et démontre, preuve à l'appui, la puissance de la nébuleuse terroriste à objectif unique.


    Le massacre de Louxor

    Le lundi 17 novembre 1997 à Louxor en Egypte, vers 0845, un groupe de 29 touristes descendus d'un premier bus visite le temple d'Hatshepsout dans la partie droite, alors qu'un autre groupe venant d'un second bus d'une autre agence s'intéresse à sa partie gauche. A environ 0900, un commando de six hommes déguisés en policiers locaux arrive à la porte extérieure du temple ; les premières détonations d'AK 47 se font entendre et les gardes de sécurité qui tombent les premiers, alors que d'autres réussissent à prendre la fuite.

    Une fois l'entrée passée, ce groupe se divise en deux : un premier groupe de trois hommes est chargé de la surveillance de l'entrée mais aussi de maintenir le périmètre sous contrôle afin de garder à distance toute force de secours. En même temps, l'autre groupe de trois personnes entre dans le périmètre du temple et commence à progresser, en ouvrant le feu sur les premiers touristes qui se trouvaient à proximité des terroristes. Certains parviennent à s'enfuir ou à se cacher après avoir rapidement ce qui se passe, alors que d'autres, dans la confusion, restent pour regarder, totalement tétanisés, ce qui leur fait coûte la vie ; d'autres encore, blessés, simulent la mort afin d'échapper à l'exécution.

    La plus grande partie se retrouve coincée entre les murs du temple et un pan de montagne. Dès cet instant, les terroristes se livrent à une tuerie de sang froid. Ils poursuivent les touristes occidentaux à l'intérieur du bâtiment, les rassemblèrent contre un mur ou encore les obligent à s'agenouiller avant de les exécuter à bout portant. A aucun moment ne sont-ils gênés ou troublés par les cris et les suppliques des touristes. Des survivants ont témoigné et raconté avec quelle tranquillité et sérénité ils ont méthodiquement abattu les hommes, les femmes et les enfants.

    Les terroristes, âgés d'une vingtaine et d'une trentaine d'années et habillés de noir, psalmodient en tirant et en exécutant, et portent sur le front un bandeau sur lequel figure l'inscription, en arabe, "Jusqu'à la mort". Ils sont ainsi parvenus à tuer 62 touristes dont 35 Suisses et à en blesser 24, sur à peu près 400 qui se trouvaient dans le périmètre du temple. Les corps des terroristes ont été retrouvés, mais il est encore à ce jour difficile de savoir s'ils ont été tués par les forces de sécurité ou s'ils se sont suicidés.

    En revanche, le responsable du groupe a été formellement identifié : Medhat Mohammed Abdel Rahman Assan, terroriste du mouvement islamiste Al Gama'a Al Islamiyya, rentré d'Afghanistan quelques semaines plus tôt pour préparer avec cinq étudiants l'attentat contre les touristes de Louxor. A l'époque des faits, et malgré un séjour en Afghanistan, le lien avec Al-Qaïda n'avait pas été établi.

    Comme après les attentats du WTC, du Pentagone et des Ambassades en Afrique, le public et même certains "spécialistes" ont déclaré : "on ne pouvait pas le prévoir !" Rien de plus faux : contrairement aux attentats du WTC qui constituaient une innovation, celui de Hatshepsout était prévisible, et la potentialité d'une attaque de touristes en Égypte, et dans un haut lieu touristique, était très élevée. Les services de sécurité et les services de renseignements égyptiens connaissaient cette menace. Le 18 septembre 1997, deux extrémistes islamistes avaient tué neuf Allemands et blessé six autres par balles au cours de l'attaque d'un car de touristes au Caire. Ces morts n'avaient pas été attribués à des terroristes mais à des "déséquilibrés psychopathes"… pour ne pas mettre en péril le tourisme !


    En fait, ce sont plusieurs centaines d'attaques terroristes - approximativement 1000 - que l'Égypte a connues rien qu'entre 1992 et 1997, avec à peu près 30 morts étrangers. Il est vrai que la mort de 30 personnes étalées sur quelques années passe plus facilement inaperçue que plusieurs milliers de manière instantanée, mais c'est surtout la volonté du gouvernement de vouloir "camoufler" ces morts qui a contribué à l'aveuglement des services de sécurité égyptiens, et même des agences de voyages qui n'ont pas saisi l'importance des attaques précédentes. Ces dernières, et leurs clients, gagneraient à prendre conseil auprès des professionnels spécialisés dans les audits de sécurité et de vulnérabilité !

     

    Les groupes terroristes


    Depuis les attentats du 11 septembre, la politique internationale s'est penchée sur le dossier du terrorisme. Les chefs des gouvernements ont décidé d'un commun accord de lutter ensemble contre ce fléau. Mais encore faut-il savoir contre qui lutter ! Les attentats du WTC, de Dar Es Salam, de Nairobi ont mis en évidence le terrorisme fondamentaliste islamique par la voix d'Oussama Ben Laden, dont les revendications sont identiques à celles des Frères Musulmans, eux-mêmes à l'origine des groupes terroristes les plus violents dans le monde. De même, en lisant la Charte du Hamas, on retrouve une partie des revendications d'Oussama Ben Laden.

    A la lecture de leurs textes de référence, les Occidentaux aux yeux des fanatiques fondamentalistes "des non croyants, des impies, des mécréants", et les éliminer est une bonne chose, l'objectif avoué étant l'expansion d'un Islam revu et corrigé sur toute la planète. La plus grande partie des groupes terroristes fondamentalistes qui défrayent la chronique à ce jour sont issus ou "s'inspirent" des Frères Musulmans. Ils sont nombreux et largement disséminés dans le monde.

    Pour comprendre le fonctionnement et les raisons d'être des sectes et des groupes terroristes, leurs revendications et leurs motivations, il est impératif de faire un retour en arrière… très loin en arrière. Sayyidna Hassan Bin Sabbah (1034-1124, fondateur de la secte des Assassins) a dit : "quand nous tuons un homme, nous en terrorisons cent mille", ou encore : "il ne suffit pas d'exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos ennemis d'entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse, nous forçons l'admiration de la foule. Et de cette foule, des hommes sortiront pour se joindre à nous". Les exécuteurs de la secte des assassins sont les Fidaï, mot arabe qui signifie "ceux qui se sacrifient, qui ont la foi", connus à notre époque sous l'appellation de fedayins.

    La filiation historique peut surprendre, mais la secte des Frères Musulmans, le Hamas et les autres groupes terroristes ont en commun cette origine qu'est l'idéologie de la secte des Assassins, et de celle-ci découle leur capacité au sacrifice. Ainsi, rien ne sera placé au-dessus des règles édictées par le fondateur, pas même les valeurs familiales. Par exemple Hassan Sabbah n'hésita pas à ordonner le jugement et la décapitation de son propre fils, Hussein, qui fut pris en état d'ébriété alors que l'alcool était interdit - au même titre que la musique et les loisirs. On retrouve cette attitude fanatique chez ces étudiants en théologie - les Taliban - qui avaient envahi l'Afghanistan pour y instaurer un ordre et une discipline ressemblant beaucoup à la doctrine de Hassan Sabbah.

    L'esprit de martyr et de sacrifice des Assassins était tel qu'une fois l'assassinat réalisé, leurs auteurs ne cherchaient même pas à fuir, ils se laissaient attraper pour être lynchés par les gardes ou la foule avec la joie de rencontrer Dieu prochainement. Cette capacité au sacrifice venait d'une interprétation éminemment controversée du Coran. Le Hamas, dans sa méthode d'endoctrinement et de manipulation psychologique des futurs candidats au suicide, fait réciter des versets du Coran avec une interprétation tout aussi discutable. Les sectes ne font pas seulement croire que les croyants sont victimes du sionisme, pour ce qui est de la Palestine, elles motivent aussi les attentats suicides à l'étranger pour influencer et convertir le monde à leur image.

    Les revendications d'Oussama Ben Laden en sont une autre illustration : il exige de chasser des terres saintes les non croyants (c'est-à-dire les Occidentaux), de punir les mécréants (ceux qui accueillent les Occidentaux) et d'islamiser les peuples du monde, car le mode de vie à l'occidentale est répréhensible. Il déclare : "tuer des Américains et leurs alliés, civils comme militaires, est le devoir de tout musulman qui le peut, dans tous les pays où cela est possible". Selon les fanatiques islamistes, les hommes sont par naissance musulmans et donc des infidèles lorsqu'ils ne reconnaissent pas "leur" religion. Comme il faut combattre les non croyants et les infidèles, tôt ou tard les Européens seront attaqués sur leur sol.

     

    La méthode de l'attentat suicide


    L'avantage considérable que possèdent les groupes terroristes, quels qu'ils soient, réside dans la liberté d'action. En effet, cette liberté diminue au fur et à mesure de l'instauration des règles et doctrines, ce que ne possèdent pas les groupes terroristes : moins il y a de règles, plus les possibilités d'action augmentent. Refuser de voir l'évolution du terrorisme fondamentaliste et de ses orientations rendra la surprise d'autant plus grande, et donnera une avance considérable aux terroristes en matière d'initiative. A l'inverse, si la menace est prise au sérieux, les recherches en matière de sécurité et de contre-mesures pourront alors avancer considérablement.

    Schématiquement, après les meurtres au couteau ou à l'arme de poing pour éliminer une personnalité symbolique ou stratégique, on est passé à la pose de bombes et aux explosions aveugles dans les magasins et les lieux publics, occasionnant des dizaines de morts - uniquement symboliques puisque c'est la population qui est ainsi visée. Les détournements d'avions ou de bateaux furent longtemps à la mode des terroristes, mais sont de moins en moins pratiqués puisque les systèmes de sécurité ont évolué et rendu difficile ce genre d'opération. Aujourd'hui, c'est l'attentat suicide qui connaît son heure de gloire, car il est motivé par des fondamentalistes ayant détourné la religion en vue de justifier le meurtre de masse.

    Les groupes terroristes au Proche-Orient font la même chose. Il s'agit non seulement d'examiner les attentats qui tuent en masse des civils, mais aussi la tactique des milices palestiniennes. Lorsqu'un tueur kamikaze se fait exploser avec sa bombe dans une ville israélienne, la réaction du gouvernement israélien ne se fait pas attendre : bouclage des quartiers palestiniens d'où est parti le kamikaze, avec recherche des complices et des responsables des réseaux. Une fois le bouclage réalisé, la progression des militaires peut se faire. Celle-ci sera fort logiquement contrée par des tirs des miliciens qui ne tarderont pas à se servir du principe du "martyr" pour infliger des pertes à l'ennemi, et surtout pour sensibiliser l'opinion publique internationale.

    « Nous tenons à la vie plus qu'à la mort », cette phrase a été dite par un extrémiste islamiste et diffusée lors d'un reportage sur M6 grâce à l'enquête de Mohamed Sifaoui. Elle correspond à toute l'analyse de notre culture vue par les fondamentalistes, ce qui nous rend très vulnérables, et les groupes terroristes fondamentalistes musulmans se spécialisent de plus en plus dans l'attentat suicide. De l'Afghanistan à la Bosnie en passant par la Tchétchénie, du Hamas au Hezbollah jusqu'aux Blacks Tigers du LTTE, les liens entre ces organisations sont les mêmes : un entraînement similaire, un objectif équivalent, des actions identiques : l'asymétrie par l'attentat suicide !

    Le fait est que ces organisations terroristes se servent de la pauvreté et des inégalités comme un vivier dans lequel puiser des futurs candidats au martyr. Mais ces mêmes candidats ignorent certains aspects de "leur" organisation, par exemple que le Hezbollah ou le Hamas ont pu percevoir respectivement 100 millions et 30 millions de dollars annuellement pour leurs opérations de propagande, de financement d'actions sur le terrain et de construction de mosquées, au lieu de les verser aux nécessiteux, ou encore que Yasser Arafat est la sixième fortune du monde selon le magazine Forbes. S'ils le savaient, sans doute le recrutement des futurs candidats au suicide aurait-il moins de succès !

    Pour anticiper une action terroriste, il faut connaître et apprendre à connaître le raisonnement des terroristes ainsi que leurs modes opératoires. Une action de ce type pourra avoir n'importe quel visage, n'importe quel aspect ; un candidat ou une candidate au suicide ne ressemble généralement pas à un désespéré, nerveux, aux yeux hagards. Au contraire, ce sont des gens terriblement sereins qui attendent de devoir appuyer sur le détonateur comme une personne appuyant sur la télécommande de la télévision. De même, les terroristes ne cherchent pas l'anonymat ou la fuite, mais simplement à faire un maximum de victimes avant de mourir.

    Il n'y a aucune raison de croire que la méthode de l'attentat suicide ne soit pas pratiquée en Europe ou en Occident. Il n'y a qu'à se souvenir du détournement de l'avion d'Air France à Alger en 1994. Le groupe terroriste avait l'intention de lancer l'appareil sur Paris, et peut-être la tour Eiffel, ce qui aurait été à l'époque une innovation. Malheureusement, ce furent les Américains qui ont eu la primeur de ce type d'action. Il ne s'agit pas ici de se faire peur en imaginant des choses plus terribles les unes que les autres, mais comme les terroristes fondamentalistes islamistes ne reculeront devant rien pour satisfaire leur souhait hégémonique, il est impératif de s'adapter à cette réalité, de se mettre à leur place et de se demander quelles sont les possibilités d'actions terroristes - ce qu'il est possible de faire, avec quoi, où et comment.


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