• Les prises d’otages par des groupes terroristes constituent l’une des situations les plus complexes à résoudre pour un État moderne : d’une part, la négociation et l’acceptation des conditions imposées pour la libération des otages, souvent appuyées par les supplications des proches, aboutissent à saborder l’autorité gouvernementale ; d’autre part, le recours à la force pour résoudre la situation – outre sa condamnation systématique par nombre de commentateurs – revient à prendre un risque considérable, puisqu’un échec sanglant ne peut jamais être exclu. Mais comme céder est souvent impossible, ou du moins inavouable, se battre reste parfois la seule option.

    Pour les forces de sécurité, la prise d’otages constitue également un défi de premier ordre. Dans une situation de conflit armé, les formations militaires sont préparées à affronter un ennemi visant en premier lieu à les défaire, et non à massacrer les non combattants faits prisonniers ; dans une situation de criminalité armée, les formations policières sont préparées à neutraliser des suspects visant en premier lieu à leur échapper, et non à combattre jusqu’à la mort en multipliant les victimes. Prendre des civils en otages dans un bâtiment bourré d’explosifs avec plusieurs dizaines de combattants suicidaires et surarmés rend virtuellement impossible toute issue positive.

    Le cas de Beslan est l’archétype de ce piège permanent. Dès le premier jour de la prise d’otages, survenue alors que l’école célébrait la rentrée des classes, plusieurs otages ont été exécutés de sang-froid pour bien souligner la détermination des terroristes. Des hommes ont été régulièrement placés devant les fenêtres de la halle de gymnastique pour faire office de boucliers humains. Des enfants essayant de s’échapper ont été abattus par les terroristes, alors même que les otages étaient entassés dans une chaleur étouffante, obligés de boire de l’urine faute d’eau, et constamment menacés d’être tués si leur servilité n’était pas totale.

    Le déroulement des prises d’otages a donc évolué depuis les années 70, lorsque des groupes terroristes – notamment palestiniens – ont utilisé cette arme pour apparaître sur la scène internationale. Après le massacre de Munich le 5 septembre 1972, lorsque 8 terroristes palestiniens ont massacré 11 membres de la délégation olympique israélienne suite aux efforts désastreux de la police allemande, les forces de sécurité occidentales ont développé les techniques, les tactiques, l’équipement et l’instruction nécessaires au déploiement d’unités spéciales antiterroristes. Leurs qualités ont été démontrées à plusieurs reprises depuis cette époque :

    Le 3 juillet 1976, sur l’aéroport d’Entebbe en Ouganda, 35 hommes du Sayeret Matkal israélien ont libéré et sauvé 103 otages sur les 106 restants d’un Airbus A300 d’Air France détourné 3 jours auparavant, en abattant les 7 terroristes présents et en neutralisant une centaine de soldats ougandais – pour le prix d’un tué dans leurs rangs ;


    Le 18 octobre 1977, sur l’aéroport de Mogadiscio en Somalie, 62 hommes du GSG9 allemand ont libéré les 91 otages d’un Boeing 737 détourné par 4 terroristes, dont 3 ont été tués et 1 capturée – sans décès dans leurs rangs ;


    Le 6 mai 1980, à l’ambassade d’Iran à Londres, 60 hommes du 22e régiment SAS ont libéré et sauvé 18 des 19 otages maintenus prisonniers par 6 terroristes, dont 5 ont été tués et 1 capturé – sans décès dans leurs rangs


    Le 25 décembre 1994, sur l’aéroport de Marignane en France, quelque 60 gendarmes du GIGN et de l’EPIGN ont libéré les 160 otages restants des 257 initialement présents dans l’avion détouné, et tué les 4 terroristes présents – sans décès dans leurs rangs.


    Ces succès retentissants, qui ont eu un effet dissuasif majeur, ont conféré aux forces spéciales une popularité confinant parfois au mythe. Les assauts visant à mettre un terme à une prise d’otages exigent en effet une rapidité, une précision et une synchronisation que seules les unités d’élite possèdent. Comme l’a montré la Force 777 égyptienne le 24 novembre 1987 à Malte, lors du détournement d’un Boeing 737, un assaut manqué – 56 otages tués sur 86, dont une partie par l’explosif utilisé par l’unité – peut cependant devenir une honte nationale. Même le Sayeret Matkal, souverain à Entebbe, a subi un échec majeur à l’école de Ma’alot le 15 mai 1974, lorsqu’un assaut mal mené s’est conclu par la mort de 26 otages sur 105 – une partie d’entre eux sous les balles israéliennes.

    Pourtant, ces exemples appartiennent désormais au passé : l’efficacité des unités antiterroristes a provoqué l’évolution des techniques terroristes et annoncé l’avènement des prises d’otages géantes. Un cas frappant a été celui de l’ambassade japonaise au Pérou en 1996, lorsque 700 personnes ont été initialement faites prisonnières par 14 terroristes. Au fil des négociations et des libérations, ce nombre est certes tombé à 72, mais ce sont les 126 jours de siège qui ont permis aux forces péruviennes – conseillées par des Britanniques du SAS – de préparer minutieusement un assaut foudroyant, le 22 avril 1997, au cours duquel 140 hommes ont libéré et sauvé 71 otages et tué tous les terroristes, avec 2 décès dans leurs rangs. Si le temps avait manqué, le désastre aurait été hautement probable.

    Mener un assaut pour libérer des otages menacés de mort par leurs ravisseurs constitue une opération spéciale de la plus haute difficulté : l’action doit être menée face à un adversaire préparé, capable en quelques secondes de massacrer les prisonniers, et qui doit être neutralisé suffisamment longtemps pour sauver la vie de ceux-ci. La simplicité de l’action, la surprise de son déclenchement et la rapidité de son exécution sont les conditions essentielles de son succès ; mais elle nécessite également un maintien du secret efficace, une focalisation unanime sur l’objectif et une répétition permanente des techniques opérationnelles – les membres du SAS affectés à l’antiterrorisme tirent par exemple 5000 coups chaque semaine lors d’exercices de libération réalistes.

    Le professionnalisme des unités antiterroristes occidentales, la sélection impitoyable de leurs membres, le perfectionnisme de leur entraînement et la diversité de leur équipement visent à leur donner des avantages permettant de gagner les quelques secondes de liberté d’action qui séparent le succès du désastre. Des renseignements de première qualité sont naturellement nécessaires à cette fin, ainsi qu’une chaîne de commandement la plus courte possible entre l’autorité politique suprême – généralement visée par l’action terroriste – et le commandement des unités. Mais il faut également une supériorité numérique à même de compenser l’avantage positionnel des terroristes : 10 contre 1 à Lima, 15 contre 1 à Marignane et Mogadiscio.

    Cette supériorité est précisément remise en cause par les prises d’otages géantes, où c’est le nombre de terroristes et non le nombre d’otages qui pose problème. Une action éclair peut mettre hors de combat en quelques secondes 4, 6 ou 10 terroristes, mais il est presque impossible d’en faire autant lorsque ceux-ci sont 30 ou 40. Un tel assaut ne peut pas être mené avec les unités antiterroristes actuelles, et celle-ci doivent être renforcées par d’autres unités de type analogue, provenant d’autres services ou d’autres nations, ou même par des forces conventionnelles, avec tous les risques que cela implique en matière de sécurité opérationnelle, de synchronisation et de précision.

    L’assaut mené lors de la prise d’otages du théâtre « Nord-Ost » à Moscou, le 26 octobre 2002, l’a clairement démontré : pour neutraliser les 41 terroristes tchétchènes et les empêcher de massacrer leurs 750 otages, notamment avec de nombreux explosifs prêts à être mis à feu, les forces russes ont eu recours à un assaut de 200 hommes provenant de plusieurs unités, dont l’efficacité a été multipliée par le gaz incapacitant utilisé ; et si ce dernier a été fatal à une grande partie des 129 otages décédés, un assaut mené sans pareil artifice aurait certainement donné lieu à un carnage équivalent à celui de Beslan. Le nombre donne aux terroristes la possibilité d’encaisser les premiers coups des unités spéciales, et donc de conserver l’avantage.

    Les cas de Budennovsk en 1995 (1500 otages, 150 morts) et Kizliar-Pervomaïskaya en 1996 (2000 otages, 40 abattus d’emblée, 100 morts durant l’assaut) sont à cet égard révélateurs, puisque 200 preneurs d’otages ont été dénombrés à chaque fois. Toutefois, l’exemple de Beslan témoigne d’une préparation plus minutieuse, étalée sur plusieurs mois et menée avec une détermination encore plus fanatique et inhumaine. Neutraliser 32 terroristes armés comme une section d’infanterie et prêts à faire exploser un bâtiment entier était tout simplement impossible dans le temps imparti. La présence de nombreux civils armés, venus prêter main forte aux forces fédérales, n’a fait qu’augmenter le chaos généré par l’imprévoyance, le mélange des unités et le manque de renseignements.

    Aucune force de sécurité occidentale n’aurait été en mesure d’empêcher le massacre de nombreux otages dans un laps de temps similaire. La prise d’otage géante est aujourd’hui une méthode terroriste contre laquelle les États et les populations sont démunis. Est-ce que cette pratique va continuer à se répandre ? La quantité de personnes impliquées constitue sa force, mais aussi sa faiblesse : un groupe de 30 à 40 terroristes est plus difficile à dissimuler, à transporter et à préparer qu’une cellule dix fois plus petite. De plus, le nombre d’hommes et de femmes prêts à se lancer dans une entreprise de ce type reste très limité, malgré ce qu’affirme la propagande islamiste.

    Il faut néanmoins prendre conscience du fait que l’action terroriste est désormais une arme de guerre en voie de normalisation, et que les concentrations de personnes sont autant de cibles potentielles. Les hommes qui attaquent une école, poignardent des enfants et violent des adolescentes en scandant le nom de leur Dieu sont les symptômes les plus répugnants de sociétés à l’agonie et de croyances en sursis. L’ère des conflits entre États, ordonnés et rationnalisés, touche lentement à sa fin, tout comme a disparu avant elle l’ère des conflits entre maisons royales ; nous entrons dans une ère de conflits déstructurés, dispersés et déréglés, où l’individu met le nombre en échec, où l’image est plus forte que la réalité, et où l’idéologie se joue de la morale.

    Prévenir la guerre de tous contre tous, c’est-à-dire la fin de la civilisation moderne, sera la priorité des forces de sécurité pour les décennies à venir. Et elles n’y parviendront pas sans que leurs rangs soient formés de citoyens-soldats, sans que nos sociétés réapprennent à se défendre, sans que nous soyons prêts à mourir pour notre mode de vie.


    votre commentaire
  • Le Massacre de Srebrenica, également connu sous le nom de Génocide de Srebrenica désigne le massacre d'environ 8 000 hommes et jeunes hommes (enfants) Bosniaques, aussi appelés Musulmans, dans la région de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine par des unités de l'Armée de la République serbe de Bosnie (VRS) sous le commandement du général Ratko Mladić pendant la Guerre de Bosnie-Herzégovine. En plus des unités de la VRS, une unité paramilitaire de Serbie, les Scorpions ont participé au massacre

    Avant le massacre, l'Organisation des Nations unies (ONU) avait déclaré Srebrenica « zone de sécurité » et maintenait une force d'environ 400 Casques bleus néerlandais, présents dans la région de Srebrenica au moment du massacre.

    Le massacre de Srebrenica est qualifié de « pire massacre commis en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». En 2004, le massacre a été qualifié de génocide par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) dans le jugement de Theodor Meron. Cette qualification a été critiquée. En février 2006, la Cour internationale de justice a confirmé cette qualification rejetant la responsabilité de l'État serbe mais reconnaissant que celui-ci n'avait pas pris « toutes les mesures en son pouvoir » pour éviter le génocide.

    Bien que les victimes soient principalement des hommes et des jeunes garçons, les femmes et les enfants ayant été évacués en cars vers les lignes bosniaques, on y compte aussi des adolescents de moins de 15 ans et des vieillards de plus de 65 ans, un bébé ferait aussi parti des victimes[9]. La liste préliminaire des personnes disparues compte 8 373 noms, elle inclut 500 noms de personnes qui avaient moins de 18 ans, plusieurs dizaines de femmes et quelques jeunes filles . En 2008, plus de 5 600 victimes ont été identifiées par leur ADN et 3 215 victimes ont été inhumées au mémorial de Potocari.



    Après la dissolution de la République fédérale socialiste de Yougoslavie et la guerre consécutive, les Serbes de Bosnie-Herzégovine prirent le contrôle de la majeure partie de la Bosnie orientale, conduisant une campagne de nettoyage ethnique contre les Bosniaques (ou Musulmans) de la région, rapportée par des milliers de témoins oculaires et d'organismes internationaux. La ville de Srebrenica faisait partie de la poignée d'enclaves bosniaques, officiellement démilitarisées, restantes dans ce secteur.

    Beaucoup de Serbes des régions périphériques et de la ville ont rejoint l'armée serbe au début du conflit, aidés par la population serbe de la région qui leur a fourni des armes et des munitions telles que des obus de mortier, participant même parfois aux attaques pour piller et détruire les maisons bosniaques.

    Les forces bosniaques de l'ABiH, commandées par Naser Orić, conservaient, malgré la démilitarisation officielle, certaines de leurs armes et plusieurs tranchées derrière la zone sûre, perpétrant des crimes de guerre. Ainsi, le général français Morillon, qui commandait les forces de l’ONU sur place, accuse : « Dans la nuit du Noël orthodoxe, nuit sacrée de janvier 1993, Naser Orić a mené des raids sur des villages serbes... Il y a eu des têtes coupées, des massacres abominables commis par les forces de Naser Orić dans tous les villages avoisinants ». Naser Orić a été condamné par le TPIY, puis acquitté en appel en 2008, le tribunal retenant la jeunesse du commandant à l'époque des faits et l'absence de preuves de sa connaissance des exactions de ses troupes.

     

    Par ailleurs, un rapport de l’ONU, rédigé un an et demi plus tôt par Kofi Annan, déclarait : « Izetbegovic avait appris qu’une intervention de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine était possible. Mais elle n’aurait lieu que si les Serbes s’introduisaient de force à Srebrenica et y massacraient au moins 5 000 personnes. ». Le général Morillon a estimé, par ailleurs, que « ce sont les autorités d’Izetbegovic qui se sont opposées à ce qu’on évacue tous ceux qui le demandaient, et ils étaient nombreux ».

     

     Siège de la ville

    En 1995, les forces serbes lancèrent une offensive massive contre la ville, forçant les défenseurs à donner leur accord au plan surveillé de démilitarisation de l'ONU, faisant de Srebrenica une zone sûre. À peu près six cent casques bleus néerlandais de la FORPRONU ont été déployés pour protéger les citadins mais furent impliqués dans des escarmouches.

    Fin mai 1995, 400 casques bleus sont pris en otage par les forces bosno-serbes suite à un raid aérien de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) contre un dépôt de munitions.

    Le 4 juin 1995, le commandant français des forces militaires de l'ONU en ancienne Yougoslavie, le général Bernard Janvier, rencontre secrètement le général Ratko Mladić pour obtenir la libération des otages, dont plus de la moitié étaient français. Mladić a exigé de Janvier qu'il n'y ait plus de frappe aérienne. Cinq jours plus tard le représentant dans la région de l'ONU, Takashi Akashi, a déclaré que l'ONU « se conformerait strictement au principe de maintien de la paix ».

    Le 7 juillet 1995, les forces serbes de Bosnie menées par le général Ratko Mladić prirent d'assaut la ville. Les Néerlandais de la FORPRONU demandèrent, en vain, une aide aérienne avant d'être pris en otages par les forces serbes. Orić avait quitté Srebrenica, laissant le commandement à ses lieutenants et incitant les médias à accuser les forces bosniaques de ne pas mettre en œuvre une défense adéquate. La plupart des civils partirent immédiatement pour la ville de Potoćari où se trouvait la base militaire principale de l'ONU. D'autres civils prirent des autobus pour des territoires bosniaques.


     Massacre des fuyards


    La plupart des hommes — des soldats mais aussi des vieillards et des adolescents — formèrent une colonne pour éviter les mines et tenter de rejoindre la ville bosniaque de Tuzla, située à cinquante kilomètres. Cette colonne — on estime à environ 12 500 le nombre de personnes — fut rapidement encerclée par les forces serbes, qui ouvrirent le feu à l'aide de canons antiaériens et de mitrailleuses lourdes. Cette embuscade fit plusieurs centaines de tués, ainsi que de nombreux blessés. D'après Jean-René Ruez, Chef de l’Equipe Srebrenica du TPIY, ceux qui choisirent de se rendre furent regroupés en divers endroits, et des exécutions de masse furent perpétrées dans certains de ces lieux de regroupement. Les forces serbes continuèrent à poursuivre le reste du groupe, faisant des victimes jusqu'au territoire bosniaque. Les survivants accusèrent les serbes d'avoir utilisé des armes chimiques ou biologiques, apparemment il s'agissait d'un gaz incapacitant composé de Benzilate, qui désoriente les victimes et leur donne des hallucinations.

     
    Le général serbe Ratko Mladić ainsi que le chef politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadžić ont été accusés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de génocide, crimes contre l'humanité et violations des lois et coutumes de guerre.

    Le 2 août 2001, Radislav Krastic, un général serbe de Bosnie qui a mené l'assaut sur Srebrenica aux côtés de Ratko Mladić, est condamné par le TPIY à 46 ans de prison pour génocide et autres crimes. L'accusation de génocide est rejetée en appel, mais le tribunal retient une charge de complicité de génocide et condamne Krstić à 35 ans de prison le 19 avril 2004. En décembre 2004, il est transféré au Royaume-Uni où il purger sa peine.

    Le 22 juin 2004, le président de la République serbe de Bosnie (région autonome à forte majorité serbe de Bosnie-Herzégovine), Dragan Čavić, reconnait, à la télévision de la Republika Srpska, que les forces serbes ont tué plusieurs milliers de civils en violant le droit international[20]. Il déclare que Srebrenica était un chapitre sombre dans l'histoire des Serbes. Le 10 novembre 2004, le gouvernement de la République serbe de Bosnie a présenté ses excuses pour le massacre de Srebrenica et s'est engagé à traduire en justice les coupables.

    En mai 2007, L’ex-général Zdravko Tolimir, proche du général Ratko Mladić, a été arrêté près de la frontière entre la Serbie et la Republika Sprska. Le TPIY avait inculpé Zdravko Tolimir, en février 2005, de crimes contre l'humanité et de crime de guerre pour « le meurtre, l'expulsion et les traitements cruels » commis contre les populations musulmanes de Bosnie des enclaves de Srebrenica et de Zepa.

    En juin 2007, une plainte a été déposée par le cabinet d'avocats Van Diepen & Van der Kroef, au nom des survivants et parents des victimes de Srebrenica, contre les Pays-Bas et les Nations Unies pour non-respect d'obligations contractuelles, «échec à prévenir un génocide» et «non-déclaration de crimes de guerre». Il est reproché aux 450 casques bleus néerlandais, positionnés à proximité de l'enclave et censés la protéger, de n'être pas intervenus face aux attaquants serbes (environ un millier), cela bien que la population ait cherché refuge auprès de leur base.[22]

    Le 21 juillet 2008, Radovan Karadžić est arrêté par les services secrets serbes à Belgrade. Le 15 février 2009, il est accusé par le Tribunal pénal international de deux génocides. Le premier étant les crimes commis en Bosnie-Herzégovine en 1992 et le second le massacre de Srebrenica en juillet 1995.

     

    À l'heure actuelle, Ratko Mladić est toujours en fuite.


    Le nombre et l'identité des personnes tuées lors de la prise de la ville ont beaucoup varié au cours du temps. L'estimation la plus haute est sans doute celle du ministre allemand de la Défense, Scharping, qui parla, le premier, de génocide à ce sujet le 28 mars 1999, quatre jours après le début des bombardements de l'OTAN, affirmant que les Casques Bleus des Nations Unies « assistèrent à l'assassinat de 30 000 hommes à Srebrenica ». Par contre, le debriefing des 460 Casques Bleus hollandais, alors présents à Srebrenica (les Dutchbatters), révèle que les soldats auraient plutôt vu des centaines, peut-être un millier, de victimes.


    Une liste de 8 106 personnes disparues a été établie par la Commission Fédérale des Personnes Disparues (en anglais : International Commission on Missing Persons), dont plus de 2 000 auraient été tuées par les soldats serbes autour de Srebrenica.

    Le dernier chiffre donné par la croix-rouge est de 7 333 personnes portées disparues. Un porte-parole, Pierre Gaultier, a cependant précisé qu'il était « fort possible qu'il y ait, parmi ces noms, un grand nombre de noms comptés deux fois », certains disparus ayant pu se frayer un chemin à travers les lignes ennemies puis réintégrer l'armée bosno-musulmane.

    Dragan Kalinic, président du Parlement de la République Srpska, a transmis à l'OSCE une liste de 3 010 noms de portés disparus qui seraient réapparus sur la liste électorale de l'OSCE deux ans plus tard, en 1997. Les travaux du démographe Helge Brunborg, présentés devant le TPIY, tenant compte des nombreuses homonymies et des données partielles, contredirent par la suite ce chiffre, avançant qu'une partie « insignifiante » des disparus, censés se trouver sur ces listes électorales, correspondraient à des mêmes personnes physiques (la défense serbe n'ayant cependant pas pu avoir accès à ces travaux pour les étudier et, éventuellement, les contester).

    Les recherches de corps auxquelles le TPIY a procédé jusqu'à la fin 2001 ont permis d'identifier 2 361 cadavres dans les environs de Srebrenica. Une partie des cadavres avait des bandeaux sur les yeux ou des empreintes de ligotements sur les poignets, même si, selon le tribunal lui-même, on ne peut exclure la possibilité qu'un certain pourcentage dans les tombes examinées étaient des hommes tombés au combat.

    Au 11 juin 2008, 3213 personnes ont été identifiés et inhumés.


    Le TPIY a considéré, lors du procès de Radislav Krstić, que le massacre de Srebrenica était un des actes constitutifs d'un génocide.

    Le 26 février 2007, la Cour internationale de justice (CIJ), organe de l'Organisation des Nations unies, qualifie indistinctement le massacre « d'actes de génocide » ou de « génocide de Srebrenica ». Elle considère cependant que la Serbie n'est pas responsable de ce génocide, même si elle n'a rien fait pour l'empêcher.

    Il n'est donc pas question d'indemnisations, comme en réclamait Sarajevo.

    Par ailleurs, la qualification de génocide est souvent contestée parce qu'elle « banaliserait » la notion de génocide. Par exemple, Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, déclare :

    « Les faits sont pourtant clairs et acceptés par tous, mais on a appelé ça un génocide. Srebrenica a été le massacre des hommes en âge de porter des armes. C'est un crime contre l'humanité indiscutable, mais on a laissé partir des femmes, des enfants, des vieillards, des gens qui n'étaient pas considérés comme des menaces potentielles. »
    Des militaires impliqués dans les opérations de maintien de la paix ont aussi dénoncé la qualification de génocide. C'est, par exemple, le cas de Lewis MacKenzie, général maintenant retraité qui fut le commandant en chef de la force de maintien de la paix de l'ONU à Sarajevo, ou de Carlos Martins Branco, un officier militaire portugais de la mission d'observation de l'ONU.


    2 commentaires
  • Les attaques suicidaires aujourd’hui employées à des fins terroristes ont constitué l’un des chapitres les plus sombres de la Guerre du Pacifique. La lutte désespérée des pilotes japonais contre la Marine américaine reste un fait d’armes sans précédent, dont voici l’histoire.

    Par un chaud après-midi de l’été 1944, le lieutenant-commandeur Tadanao Miki, du laboratoire de recherche aéronautique japonais, fut appelé dans le bureau de son commandant pour avoir une conversation avec un officier en visite. La section recherche de Miki luttait alors avec les problèmes de guidage qui accablaient les plans de fusées allemandes récemment transportés au Japon par sous-marin. Il avait déjà reçu de nombreuses recommandations inutiles de la part de visiteurs bien intentionnés et se fatiguait rapidement de ces distractions. En ce jour particulier, le visiteur était le sous-lieutenant Shioichi Ota, ce qui était une perspective peu encourageante.

     

     

    Miki, certain que cet homme était venu offrir une autre idée déplacée pour le guidage des fusées, s'assit pour écouter. C’était encore pire que tout ce qu’il avait pu imaginer. Ota et ses supérieurs avaient « éliminé » le problème du guidage en plaçant des hommes à bord de bombes propulsées par fusée ! Sous le choc, le lieutenant-commandeur indiqua rapidement plusieurs faiblesses d’une telle idée ; en-dehors de l’effet terrible qu’elle aurait sur le moral, la courte portée des armes exigeraient qu’elles soient portées par des « vaisseaux-mères » qui seraient eux-mêmes vulnérables à la puissance aérienne bourgeonnante de l’ennemi. Miki était scandalisé que son équipe de recherche soit impliquée dans un plan aussi désespéré et dispendieux.

    Mais la décision avait été prise. Miki et son équipe dessineraient une bombe volante opérationnelle, et le feraient tout de suite. Un cycle d’une année de désespoir croissant avait finalement atteint le point de non-retour. Le Haut commandement des forces armées avait longtemps résisté à l’idée d’attaques spéciales en raison des conséquences extrêmes que de telles opérations auraient sur la discipline. A présent, ils ne pouvaient plus résister aux demandes de leurs officiers de faire quelque chose pour stopper les Alliés. A contrecœur, ils autorisèrent la formation du corps des Dieux du tonnerre, et ouvrirent la voie à la création d’appareils d’attaque spéciaux, touchant à coup sûr. Les premières offensives des Kamikazes et Dieux du tonnerre japonais deviendraient vite réalité, et pour la première fois depuis 1941, les pilotes japonais donneraient de nouveau plus qu’ils ne recevraient, mais au prix ultime !

    Les offensives des Kamikazes japonais à la fin de la Seconde guerre mondiale sont devenues légendaires pour leur détermination et leur efficacité. Une célèbre victime attribuée aux Kamikazes fut le porte-avions américain USS Franklin. Ironiquement, c’est en fait un pilote de bombardier en piqué japonais, qui largua sa charge avec succès sans s’écraser sur le vaisseau, qui inaugura la saga du Franklin. C’est un témoignage de la dévastation générée par les Kamikazes que virtuellement toutes les pertes subies à la fin de la guerre leur sont attribuées.

     

    Les premiers grondements


    L’idée des campagnes de Kamikazes n’a pas été lancée par le Haut commandement impérial, mais par des officiers de rang inférieur qui commencèrent à rapporter des actes de « crashes corporels » spontanés par des pilotes et leurs équipages. Le premier officier à avoir officiellement abordé le sujet était le capitaine Motoharu Okamura. Lui et ses supérieurs ont convenu des premières « investigations » et « rapports » sur la faisabilité et la conception d’attaques suicidaires préméditées. Cette seule recherche, toutefois, donnera au nombre de croissant de ses défenseurs l’appui politique dont ils avaient besoin, et le programme des Dieux du tonnerre fut bientôt en bonne voie malgré sa relative impopularité. En octobre 1944, alors que le Corps des Dieux du tonnerre venait de naître officiellement, le vice-amiral Takijiro Onishi demanda la permission d’engager des chasseurs chargés de bombes pour une offensive « Kamikaze » dans son nouveau commandement des Philippines. Il reçut cette permission, à la condition que tous les participants soient volontaires. La scène était maintenant prête pour deux programmes d’attaques-suicides parallèles, les Dieux du tonnerre et les Kamikaze.

    Le programme d’attaques spéciales engendra des divisions terribles dans les rangs des militaires japonais. De nombreux commandants expérimentés considéraient l’idée comme un obscène gâchis de vies précieuses. Ils étaient sans aucun doute désireux de se sacrifier eux-mêmes, mais dans le feu du combat et non par des missions sans retour menant à une mort certaine. Le lieutenant-commandeur Goro Nonaka a ouvertement critiqué le projet de bombe propulsée dès ses débuts. Il commandait les bombardiers Betty qui devaient servir de vaisseaux-mères pour les avions-fusées Okha des Dieux du tonnerre, et il avait anticipé la plupart des mêmes problèmes annoncés par Tadanao Miki au laboratoire de recherche : en particulier la courte portée des avions-fusées et la basse vitesse du vaisseau-mère. Ces deux facteurs faisaient que les bombardiers Betty de Nonaka devaient s’approcher lentement à vue de la task force d’un porte-avions américain avant de larguer les Okha attachés à leurs fuselages. Il ne voyait aucun moyen pour ses bombardiers d’accomplir de telles missions, et devint convaincu que ses équipages étaient aussi condamnés que les pilotes des Okha. Il allait avoir douloureusement raison.

    Le vice-amiral Onishi prit son nouveau commandement aux Philippines au début d’octobre 1944, toujours déterminé à utiliser la tactique nouvellement approuvée des Kamikazes contre la flotte d’invasion en approche. Son but était rien moins que couler tous les porte-avions américains, ce qui ouvrirait la voie à la flotte principale pour couler les navires de transport. En raison d’un accident, Onishi finit par annoncer lui-même la demande de volontaires aux pilotes du premier groupe du 201e Corps d’aviation, sur la base aérienne de Mabalacat. Lorsque les pilotes et leurs officiers demandèrent à écouter l’approbation du programme suicide par leur propre commandant, le capitaine Sakai Yamamoto, Onishi leur mentit en déclarant que Yamamoto était déjà informé. En réalité, le capitaine Yamamoto était alors à l’hôpital près de Manille, totalement inconscient de ce que Onishi racontait ses hommes. La totalité des 23 pilotes se porta volontaire.

    En l’espace de quelques jours, les premières missions suicides furent menées contre la flotte alliée à Leyte. Elles eurent un effet immédiat, entraînant bien plus de dommages aux bateaux américains fortement défendus que les attaques aériennes traditionnelles n’avaient pu le faire. Emu, l’amiral Onishi annonça immédiatement « le succès écrasant » et supposé de cette nouvelle méthode et déclara aux corps des officiers mélangés des premières et deuxièmes flottes aéronavales que les Kamikazes seraient utilisées pour balayer les flottes alliées de la mer. Aucun débat et aucune objection ne seraient plus tolérés.

     

    Pendant ce temps, les 100 premiers volontaires du Corps des Dieux du tonnerre continuaient leur entraînement, pendant que la construction des 150 premières bombes propulsées Okha se poursuivait à un rythme fébrile. Les plans initiaux des Japonais consistaient à déployer les Dieux du tonnerre à partir des Philippines et de Formose (à présent Taiwan), mais les groupes aéronavals et les sous-marins américains paralysaient efficacement les mouvements au sud des ports nippons. L’ampleur de l’effort américain fut ressenti à terre lorsque le nouveau porte-avions géant Shinano fut coulé, le 27 novembre 1944. Non seulement ce navire était souvent considéré comme le dernier espoir de l’aviation embarquée, mais il portait en plus dans ses cales les 50 premiers Okhas achevés par le laboratoire de Miki ! Cette perte était déjà sévère, mais lorsque le porte-avions Unryu transportant les 30 Okhas suivants fut coulé sur la route des Philippines quelques semaines plus tard, il devint évident que l’offensive des Dieux du tonnerre serait durement retardée.

    Lorsque l’annonce de ces revers se répandit, la discipline au sein des volontaires pour les Dieux du tonnerre devient plus difficile. Ils s’étaient portée candidats pour se tuer en croyant qu’ils seraient l’avant-garde prestigieuse d’une force vengeresse. A présent, les Kamikazes avaient frappé les premiers coups et des retards indéterminés avaient été annoncés, et les hommes avaient le sentiment que leurs existences allaient être dilapidées. L’ébriété et l’insubordination subirent une hausse brutale, et les pilotes se mirent à passer la nuit en-dehors des bases sans permission. Quelques officiers tolérèrent avec clémence ces débordements, mais d’autres ressentaient le besoin de maintenir la discipline à tout prix, ce qui déclencha une nuit une échauffourée dans la base des Dieux du tonnerre, à Konoike.

    A l’aube de la nouvelle année, les Alliés poursuivaient les préparatifs de l’invasion d’Okinawa, qui serait la première occupation à large échelle d’un territoire japonais. Le plan comprenait des attaques aériennes massives à partir de porte-avions contre des bases au Japon méridional. C’est face à cette situation en développement que le Haut commandement japonais se trouvait maintenant mal préparé.

    Pendant les semaines suivantes, le Corps des Dieux du tonnerre fut attribué à la 5e Flotte aérienne nouvellement réorganisée, et qui était chargée de la défense du Japon méridional et d’Okinawa. Le nouveau commandant de la flotte était l’amiral Matome Ugaki, un membre survivant de l’ancien état-major de Yamamoto qui commandait précédemment la 1ère Division de cuirassés, alors constituée des deux super-cuirassés Yamato et Musashi. Les Dieux du tonnerre furent mélangés avec le Corps d’attaque T, formé de pilotes Kamikazes volant sur chasseur et chasseur-bombardier. A côté de l’aviation conventionnelle, qui accomplissait toujours la majorité des sorties de combat, ce sont au total 162 Okhas, 108 chasseurs d’attaque T et plusieurs douzaines de bombardiers moyens qui étaient disponibles pour la première vague d’attaques spéciales contre toute force américaine pouvant s’approcher d’Okinawa.

    A la fin de février, une task force américaine se mit en route pour Iwo Jima, située dans un groupe d’îles loin à l’est d’Okinawa, puis attaqua l’île et s’en empara après une bataille courte mais sanglante, en conjonction avec des raids massifs de B-29 sur Tokyo. A partir du 1er mars, l’aviation américaine commença à mener des raids sur Okinawa, frappant les aérodromes et les dépôts dans la cadre d’une destruction systématique de son infrastructure. Le 17 mars, des porte-avions américains furent aperçus faisant mouvement au nord, en direction du territoire japonais, et le Haut commandement impérial commença à mobiliser la 5e Flotte aérienne pour la bataille finale.

    Les Américains frappèrent toutefois les premiers, déclenchant des attaques aériennes qui ravagèrent de nombreuses bases où les Dieux du tonnerre et les Kamikazes se préparaient. Non seulement la prise d’initiative américaine interrompit les préparatifs d’attaque de la 5e Flotte, mais de nombreux chasseurs tenus en réserve pour couvrir les Dieux du tonnerre furent piégés en l’air, contraints de défendre leurs propres aérodromes. Cela aboutit à la perte de la moitié des escorteurs prévus pour protéger les équipages de bombardiers dans leurs missions avec les Dieux du tonnerre. En retour, seuls 45 bombardiers moyens Jill et Frances purent décoller et approcher la flotte américaine avant l’attaque.

    Deux jours furent nécessaires à la 5e Flotte aérienne d’Ugaki pour se réorganiser et lancer la première attaque aérienne combinée. Des évaluations de renseignements excessivement optimistes contribuèrent à fonder la décision incongrue de lancer une attaque de jour, dont une déclaration incroyable selon laquelle les porte-avions américains n’avaient aucune couverture aérienne ! L’affirmation était justifiée par la conviction optimiste que les missions suicides accomplies les jours précédents par les bombardiers moyens et légers avaient infligé des dégâts énormes aux porte-avions. En réalité, les navires et leur appareils n’avaient que peu souffert et faisaient route au sud pour appuyer le prochain débarquement à Okinawa.

    Le 21 mars à 0945, l’amiral Ugaki donna l’ordre lancer le premier assaut des Dieux du tonnerre, même s’ils ne seraient pas appuyés par d’autres sorties Kamikazes. Le lieutenant-commandeur Nonaka ignora carrément les ordres de son supérieur de rester à l’écart, et après la sélection de ses meilleurs pilotes, il se joignit aux commandants de la Flotte pour la cérémonie traditionnelle d’adieu avec les Dieux du tonnerre et les équipages de bombardiers. Les 18 Betty de ce premier vol n’avaient que 60 chasseurs pour les escorter, dont la moitié durent abandonner en raison de problèmes de moteur. Lorsque la flotte entière disparut à l’horizon, on n’en entendit plus parler jusqu’à tard le soir, lorsque deux Zéros endommagés atterrirent et racontèrent leur histoire. L’escadrille principale avait été interceptée par plus de 50 chasseurs américains et dispersée à 110 km du groupe aéronaval le plus proche. La formation entière fut submergée, et en 10 minutes, tous les bombardiers Betty avaient été soit abattus, soit contraints de larguer leurs Okhas pour tenter de s’échapper. Nonaka fut aperçu la dernière fois alors qu’il volait aile contre aile avec trois autres bombardiers, dans un piqué abrupt pour s’éloigner du combat. Ni Nonaka, ni ses équipages ne donnèrent plus signe de vie.

    Les réjouissances à bord des porte-avions américains, cette nuit-là, avaient de bonnes raisons. Une flotte de bombardiers spéciaux portant une sorte de « gadget » ailé sous leurs fuselages avaient été défaite sans appel. Quels qu’ils puissent être, les commandants de la flotte américaine étaient heureux de ne pas les avoir laissés approcher de leurs porte-avions.

     

    Opération Paradis  et Okinawa


    La destruction totale du premier assaut des Dieux du tonnerre entraîna une réévaluation tardive des tactiques utilisées pour les attaques spéciales. Les méthodes qui en résultèrent se révélèrent plus efficaces, mais bien qu’il parvint ainsi à infliger de grands dommages aux navires alliés, le Japon avait déjà perdu aussi bien l’initiative que la logistique nécessaires au lancement d’attaques majeures.

    Malgré la pression accrue, la 5e Flotte aérienne d’Ugaki déclencha l’opération « Paradis N° 1 » avec une série d’attaques conventionnelles et suicidaires contre la flotte américaine. L’offensive débuta pour de bon le 6 avril avec l’opération Kikusui N° 1, qui fut la mission suicide la plus vaste, la mieux coordonnée et la mieux protégée de toute la guerre. Tôt le matin, quatre escadres de chasseurs survolèrent Okinawa pour défier les patrouilles américaines, pendant que d’autres appareils larguèrent des bandes d’aluminium pour bloquer les radars. Peu après, 60 avions conventionnels de la Marine et 18 chasseurs-bombardiers de l’escadrille Kemmu firent leur apparition. Le rideau de feu antiaérien qui faisait alors partie intégrante de la flotte américaine parvint à écarter tous les avions sauf quatre. Peu après midi, 210 autres appareils furent engagés, dont seulement la moitié fut abattue ou repoussée par la couverture aérienne épuisée. Les avions restants défilaient au-dessus des mouillages et des navires proches de la terre, déclenchant l’une des attaques les plus intenses jamais menée. Plus de deux douzaines des Dieux du tonnerre appartenant à l’escadrille Kemmu réussirent à s’écraser sur des destroyers, des dragueurs de mines, des transports de munitions et d’autres grands navires de guerre. Le jour suivant, alors que la majorité des porte-avions américains étaient accaparés par le cuirassé Yamato en approche et son escorte, 110 autres appareils et 12 bombardiers Kemmu frappèrent, infligeant des dommages supplémentaires.

     

    Le 9 avril, l’amiral Ugaki lança l’opération Kikusui N° 2. Deux jours plus tard, 60 avions de la Marine se joignirent à 16 Dieux du tonnerre de l’escadrille Kemmu pour une autre attaque des navires américains au large d’Okinawa. Ils furent suivis le jour suivant par 120 avions de l'Armée et de la Marine accompagnant 9 bombardiers Betty portant des Okhas et 19 Dieux du tonnerre supplémentaires pilotant des chasseurs-bombardiers. Cette attaque était typique, dans le sens où de nombreux pilotes de Betty confondirent l’écran de destroyers américains avec la flotte principale. Ils subissaient une telle pression de la part de la chasse US qu’ils attaquaient le premier navire en vue, pensant à raison ne pas pouvoir se permettre de choisir. Cette mission particulière vit l’attaque d’Okha la plus efficace de la guerre. Le sous-lieutenant Sabura Dohi des Dieux du tonnerre, qui s’était distrait par des occupations bizarres autour de sa base aérienne jusqu’à son envol, écrasa son Okha sur le destroyer Mannert L. Abele, le brisant en deux et l’envoyant au fond de l’océan avec un tiers de son équipage. Trois autres Okhas attaquèrent avec succès, mais ils ne causèrent que des dégâts modérés à leurs cibles.

    L’effet de ces attaques sur le moral américain fut immédiat et dévastateur. En l’espace d’une semaine, 9 navires américains avaient été coulés et 78 endommagés par plusieurs attaques aériennes et d’innombrables sorties isolées. Les équipages survivants s’épuisaient rapidement en maintenant une surveillance permanente contre des attaques potentielles, et les compléments en appareils pour les groupes aéronavals s’amincissaient notablement. Même les Japonais commençaient à remarquer l’augmentation des avions opérant leur retour, alors que précédemment la chasse américaine avait déchiqueté sans pitié tout ce qui approchait.

    Pendant la dernière moitié d’avril et le début de mai, quatre autres opérations furent menées contre la flotte opérationnelle au large d’Okinawa. L’apogée survint avec l’opération Kikusui N° 6, le 11 mai, lorsque le grand porte-avions et navire amiral USS Bunker Hill fut frappé par un Dieu du tonnerre de l’escadrille Kemmu. Gravement endommagé et en feu, le porte-avions dut abandonner sa marque à l’USS Enterprise. Bien que la flotte lança 900 avions dans une contre-attaque sur les bases au sud du Japon, 28 chasseurs-bombardiers de l’escadrille Kemmu réussirent à prendre l’air le jour suivant, et l’un d’entre eux parvint à rompre l’anneau d’acier dressé autour des porte-avions américains. Le pilote s’écrasa sur le pont de l’Enterprise près de l’ascenseur avant, déclenchant une énorme explosion et une boule de feu qui projetèrent l’ascenseur à des centaines de mètres.

    Quatre autres opérations d’attaques spéciales furent menées pendant le reste du mois de mai et en juin. Lorsque les forces terrestres américaines encerclèrent lentement les derniers défenseurs japonais, la dernière opération, nommée Kikusui N° 10, fut un échec complet. Peu d’appareils furent aptes à prendre l’air, et les quelques attaquants qui approchèrent la flotte américaine furent abattus ou forcés de rebrousser chemin. Mais que ce fut la dernière opération officielle importe peu, car tout le système des attaques systèmes était alors au bord de l’effondrement. Lorsqu’il devient évident qu’Okinawa était perdue, toutes les attaques furent stoppées en prévision de l’attaque prévue contre le Japon.

    En août, le Corps des Dieux du tonnerre avait été redéployé et attendait les nouveaux avions-fusées améliorés, qui avaient une meilleure résistance et une plus grande portée que les modèles précédents. Comme les envahisseurs seraient à proximité immédiate des plages, la portée était toutefois moins un problème. De nombreux hommes avaient une tension proche du délire. Ils avaient déjà effectué des missions menant à une mort certaine, interrompues en raison d’un problème mécanique ou des dégâts subis par les bombardiers Betty qui les transportaient. Keisuke Yamamura avait été affecté à trois missions Okha, et avait été deux fois à bord de son avion-fusée en attendant le largage, lorsque l’opération fut annulée. Malgré la terreur sidérante qu’il avait ressentie à ces instants, il portait un bandana d’une longueur inusitée, proclamant sa détermination à mourir en suivant ses camarades.

    Le 8 août, un rapport parvint aux quartiers-généraux militaires selon lequel un raid avait été mené par un petit nombre de bombardiers B-29 sur Hiroshima. Il mentionnait l’usage possible d’une bombe nouvelle, et qu’une investigation était en cours. Bien vite, il apparut que la bombe A futuriste, qui avait été si longtemps l’objet de spéculations, avait à présent été utilisée, et que l’avenir même à la fois du Japon et des Dieux du tonnerre était soudain brouillé. Pendant les jours suivants, alors que les nouvelles du bombardement de Nagasaki, de la déclaration de guerre russe et des négociations avec les Alliés s’infiltraient à la base des Dieux du tonnerre, le débat devient ouvert entre les officiers. De nombreux officiers de rang supérieur s’attendaient à être consultés, et le vice-amiral Ugaki n’était pas le moindre d’entre eux. Tous s’attendaient à poursuivre la guerre jusqu’à la dernière personne, et aucune autre option ne fut même considérée !

    Lorsque la décision de l’empereur Hirohito de cesser la guerre fut annoncée, la fin ne vint pas tranquillement. Presque tout le commandement de la 5e Flotte aérienne se rebella. Le 14 août, l’amiral Onishi, l’un des pionniers du programme de Kamikaze, déclara à un ami proche : « ce n’est pas moi qui ai perdu la guerre, mais l’empereur. » Le soir, il commit le suicide rituel. Le vice-amiral se rebella contre l’édit impérial en conduisant une dernière attaque de 11 bombardiers en piqué Judy dans une mission stérile sur la navigation américaine près d’Okinawa. L’amiral Ozawa du Quartier-général de la Marine était furieux contre Ugaki, non seulement pour avoir désobéi au mandat impérial, mais également pour avoir emmené d’autres hommes en se tuant lui-même. Ugaki se vit refuser la promotion posthume que les autres membres des missions-suicides recevaient habituellement.

    Son remplaçant, le vice-amiral Ryunosuke Kusaka, se retrouva à la tête d’un groupe rebelle d’officiers supérieurs qui exigeaient que le mandat impérial soit ignoré. Il parvint finalement à les convaincre de laisser le chef d’état-major de la 5e Flotte voler jusqu’à Tokyo afin de recevoir les ordres en personne. Pendant ce temps, des hommes du rang et des officiers discutèrent de la signification technique de la reddition – ce qu’il leur arriverait, et si les Américains les assassineraient. Plusieurs groupes planifièrent des mutineries « spontanées », mais pour chaque groupe de mutins, deux autres groupes refusaient d’y prendre part, insistant d’attendre des ordres formels. Lorsque chaque rébellion miniature s’effondra, la plupart des hommes en vinrent à se fier aux décisions finales de leurs officiers.

    Au soir du 19 août, le vice-amiral Kusaka fut en mesure de mettre sur pied une réunion générale de tous les commandants de la 5e Flotte aérienne. Lorsqu’il entra dans la salle, il n’échappa pas à son attention que tous ses officiers portaient leur uniforme de parade, les mains placées sur leurs armes. Il s’attendait à être assassiné dans les minutes suivantes. Son chef d’état-major annonça alors que l’Empereur avait effectivement pris sa décision de son plein gré, et qu’il était décidé à mettre fin à la guerre. Lorsqu’il relut l’annonce de l’Empereur, les officiers dans la salle se mirent à hurler de concert, puis Kusaka monta sur le podium et leur dit : « en tant que commandant, je suis venu à Kyushu avec la ferme intention de mourir avec vous tous. Cependant, le fait de nous battre ou pas est complètement assujetti au mandat impérial. Si l’Empereur dit de cesser le combat, je dois tout faire pour mettre fin à la guerre. J’espère que vous allez comprendre et coopérer. En même temps, je sais que certains d’entre vous ressentent différemment les choses. Mais il en sera ainsi aussi longtemps que je vivrai. Si vous n’êtes pas d’accord, tuez-moi avant toute autre action ! Je suis prêt. Faites-le tout de suite ! » Sur quoi il s’assit et ferma les yeux.


    votre commentaire

  • Au printemps 1940, Staline décide de faire exécuter 15 000 officiers polonais faits prisonniers depuis septembre 1939.
    Ce n’est que le 16 avril 1943, qu’une partie du charnier est découvert à Katyn, à la frontière de la Biélorussie et de la Russie, par l’armée allemande.
    Aussitôt, les Soviétiques accusent les nazis du massacre. Il faudra attendre 1990 pour que la culpabilité de Staline soit enfin officiellement reconnue par l’U.R.S.S.

    Katyn : un massacre programmé

    Les 4 500 morts découverts à Katyn représentent l’élite de l’armée polonaise. Leur exécution fait partie d’un vaste plan conçu par Staline pour détruire les cadres politiques, militaires et intellectuels de la Pologne.

    Le 5 mars 1940, Staline donne l’ordre d’exécuter les cadres militaires mais aussi les fonctionnaires ainsi que les représentants des classes aisées.
    Il souhaitait éliminer tous ceux qui pouvaient constituer un obstacle à son annexion.

    Le 17 septembre 1939, l’Union soviétique envahit la Pologne. 230 000 Polonais dont environ 15 000 officiers sont fait prisonniers.
    Ils sont répartis dans les camps de concentration de Kozielsk, d’Ostachkov et de Starobielsk. Ils communiqueront avec leur famille jusqu’au printemps 1940 après quoi, plus personne ne saura ce qu’ils sont devenus.

    D’avril à mai 1940, 4 500 de ces prisonniers sont emmenés dans la forêt de Katyn, près de Smolensk.
    Ils sont ligotés puis abattus les uns après les autres d’un coup de pistolet dans la nuque.

    Les balles utilisées sont de fabrication allemande.Les corps sont empilés dans sept fosses puis recouverts de terre.

     La découverte du charnier

    C’est le 16 avril 1943 que la découverte des charniers est rendue publique par Radio-Berlin : « des habitants de la région ont indiqué aux autorités allemandes un endroit où les bolcheviques avaient organisé des exécutions massives. »

    Une commission d’enquête de la Croix-Rouge internationale, convoquée par les Allemands, a pu établir que toutes les victimes ont été exécutées avec des munitions allemandes, mais que les meurtres ont eu lieu avant l’entrée de l’armée allemande dans cette région.


    Où sont les corps des 11 000 prisonniers dont nul n’a jamais plus eu de nouvelles ? D’autres charniers existent-ils dans l’immense forêt biélorusse ?
    Les autres victimes ont également pu être exécutées dans les camps soviétiques.


     Une polémique qui a duré 50 ans


    Deux jours après l’annonce de la découverte du charnier, les ondes soviétiques répliquent qu’il s’agit soit d’un cimetière, soit de victimes des exactions commises par les nazis.

    En 1946, au procès de Nuremberg, les procureurs soviétiques essayent d’inscrire le massacre de Katyn au nombre des crimes nazis. Devant le peu de crédibilité de leur rapport, les Alliés refusent cette incrimination.

    Avril 1943. Les paysans polonais sous la direction de médecins légistes allemands dégagent les corps.

    En 1951, une enquête américaine conclut à la culpabilité du N.K.V.D (police secrète). Cependant, le gouvernement soviétique continue de nier les faits.

    En Union soviétique, jusqu’en 1990, on continue à enseigner dans les livres d’histoire la version officielle du gouvernement.
    Cette même année, Mikhaïl Gorbatchev reconnaît la responsabilité de Staline dans ce massacre.

    Enfin, en octobre 1992, Boris Eltsine remet aux autorités polonaises à Varsovie la copie de l’ordre signée par Staline en 1940 qui a conduit à l’exécution de 14 700 prisonniers polonais.

    La vérité historique a enfin été rétablie ce qui n’atténue en rien la monstruosité de cet acte décidé par un seul homme.


    votre commentaire

  •  

    Depuis la chute du maréchal Mobutu, la guerre civile dans l'ex-Zaïre a fait jusqu'à 3 millions de morts. Mais le pays est tellement inaccessible que ses horreurs sont rarement rendues publiques. Un long reportage publié dans l'Economist et signé Sven Torfinn soulève le linceul d'une réalité insoutenable.

    Dans les eaux chocolatées de la rivière Congo, un cadavre mutilé dérive lentement. Le "Ministre des enfants" des rebelles frissonne : comment va-t-il expliquer cela aux représentants horrifiés que l'ONU a envoyés de la capitale Kinshasa, et qui à cet instant marchent sur le quai pour le rencontrer ? Pas en disant la vérité, de toute évidence, puisque son groupe rebelle a massacré 150 personnes dans la ville de Kisangani, les 14 et 15 mai, avant de balancer leurs corps éventrés et lestés de pierres dans la rivière. A la place, il sourit, accepte les offres d'aide alimentaire faites par les émissaires, et parle amicalement d'autres choses.


    Durant les quatre dernières années, la guerre du Congo a été plus meurtrière que nulle autre. International Rescue Committee, une agence d'aide américaine, a déclaré qu'au milieu de 2001, 2,5 millions de personnes étaient mortes du conflit dans le seul Congo oriental. Certaines ont été tués par balles ou à coups de machettes ; bien d'autres ont péri de famine ou de maladie pendant que neuf armées nationales et une myriade changeante de groupes rebelles pillaient leur pays. A présent, les pertes humaines dépassent probablement les 3 millions, bien que ce soit l'estimation la plus dure. Comme le dit un employé de l'ONU, "le Congo est si jeune que l'on ne voit même pas les tombes."

    Les puissances occidentales semblent n'avoir qu'à peine remarqué la catastrophe. Ceci est en partie dû fait que le Congo n'a pas d'importance stratégique, à la différence du Moyen-Orient. Mais c'est également parce qu'il est grand comme 4 fois la France, recouvert de forêts épaisses, incroyablement dangereux, et parce qu'il n'a presque aucune route pavée et aucune téléphone en service. Découvrir simplement ce qui se passe au Congo est un défi, comme l'a découvert votre correspondant en accompagnant des miliciens patrouillant sur les bords du lac Kivu début juillet, lorsqu'il a dû se cacher dans la végétation pour éviter 200 soldats rwandais hostiles passant à proximité.

    Et l'espoir pourtant existe. Le gouvernement congolais a signé un accord de paix avec la plupart des groupes rebelles. En proposant à leurs chefs un partage du pouvoir, le gouvernement a gagné le contrôle nominal de 70% du pays. Cette partie du Congo est maintenant relativement pacifique, et l'activité économique se redresse peu à peu. Mais un important groupe rebelle a refusé de signer : le Ralliement pour la Démocratie Congolaise (RDC), dont le Ministre des enfants a crânement ignoré ce cadavre livide, et qui tient toujours l'essentiel du Congo oriental.

    Ici, la guerre se poursuit. Ou plutôt des dizaines de petites guerres entremêlées se succèdent, dans lesquelles presque toutes les victimes sont civiles. Un village typique peut s'attendre à être pillé par plusieurs bandes armées différentes. Sous ce qui équivaut à une occupation rwandaise, l'est du Congo est peut-être le plus misérable endroit sur Terre.


    Un mauvais voisinage


    L'histoire de la guerre congolaise remonte à 1994, lors du génocide au Rwanda. Un gouvernement dominé par une tribu hutue a tenté d'exterminé les Tutsis, une minorité prospère. En cent jours, 800'000 Tutsis – et les Hutus refusant de coopérer – ont été assassinés. Le massacre n'a cessé que lorsqu'une armée de Tutsis exilés a lancé une invasion à partir de l'Ouganda et repoussé les assassins au Congo – qui s'appelait encore Zaïre. Le nouveau gouvernement rwandais, dominé par les Tutsis, redoutait que les génocidaires se regroupent et reviennent finir leur travail. Et quand le dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko vint à leur secours, le Rwanda déclencha une rébellion qui le renversa.

    A sa place, les Rwandais installèrent un leader et tribun de la guérilla, Laurent Kabila. Ils espéraient qu'il tirerait les marrons pour eux ; au lieu de cela, il a réarmé les génocidaires, et le gouvernement rwandais a également essayé de le renverser. Avec l'aide de l'Ouganda et du Burundi, il y est presque parvenu, et Kabila a été sauvé par cinq nations amicales, dont les plus importantes étaient l'Angola et le Zimbabwe. La plupart des pays qui sont intervenus avaient des intérêts légitimes au Congo : les rebelles des Etats voisins utilisaient les forêts hors-la-loi du Congo comme autant de bases pour lancer des raids transfrontaliers. L'échec du gouvernement Kabila à faire plier ces rebelles amena le Rwanda, l'Ouganda et l'Angola à participer à la guerre. Le Zimbabwe, qui ne partage aucune frontière avec le Congo, a envoyé des troupes pour d'autres raisons : satisfaire les aspirations manipulatrices de son président, Robert Mugabe, et l'appétit de son armée pour le butin.

     
    Rapidement, la guerre atteint une impasse et les diverses armées se rabattirent sur l'exercice sérieux du pillage. Le Zimbabwe s'empara des zones diamantifères au sud. L'Angola s'accorda avec le gouvernement congolais sur une entreprise pétrolière. Le Rwanda et l'Ouganda commencèrent à creuser et à extraire des diamants et du coltan (un minéral utilisé dans les téléphones mobiles), récoltèrent du bois et de l'ivoire, et vidèrent même les écoles de leur mobilier.

    Bien que prétendument alliés, les soldats rwandais et ougandais se sont occasionnellement affrontés au sujet des prises. Mais en général, plus ces armées pillaient, moins elles désiraient s'affronter l'une l'autre – à la différence de paysans désarmés.

    L'un des gardes du corps de Kabila lui tira une balle dans le gosier et deux dans les tripes. Personne ne sait qui lui en a donné l'ordre, parce que l'assassin a été presque immédiatement abattu. Une rumeur prétend que ses alliés étaient excédés par ses trahisons au point de le faire tuer.

    L'héritage de Kabila n'a rien de souriant. Dans son mausolée de Kinshasa, une statue de bronze montre le président décédé un livre en main, ce qui est un mémorial étrange pour un homme ayant mis fin aux écritures du ministère congolais des finances. Dans les portions du Congo qu'il contrôlait, Kabila a régné de manière aussi despotique que son prédécesseur, mais moins compétente. Il a épouvanté les investisseurs en emprisonnant des hommes d'affaires étrangers et en demandant des rançons dépassant le million de dollars. Il a banni les aides internationales en insultant des diplomates. Il a provoqué des pénuries de type soviétique en imprimant des billets tout en contrôlant les prix. A la fin, le pétrole était si rare que les sociétés pétrolières nationales ont dû inonder son pipeline principal avec de l'eau de rivière pour en expulser la lie.

    Kabila a été remplacé par son fils Joseph. Il a appuyé un plan de paix que son père avait rejeté. Un cessez-le-feu a suivi, appliqué autant que possible par l'ONU. L'Angola s'est retiré à sa frontière et l'Ouganda a retiré certaines unités, laissant d'autres s'occuper de ses affaires au nord du Congo. Le Zimbabwe est resté, à la demande du gouvernement. Le jeune président Kabila veut être protégé des Rwandais, qui refusent de partir. Le gouvernement du Rwanda déclare ne pas vouloir retirer son armée, qui occupe une tranche du Congo 27 fois plus grande que son propre pays, jusqu'à ce que le dernier combattant hutu ait été capturé ou assassiné.


    La réticence rwandaise


    Le Rwanda pense que 55'000 Hutus, toujours enclins au génocide, continuent de se cacher dans les jungles du Congo ou ont incorporé l'armée congolaise sous de fausses identités. Le groupe de réflexion International Crisis Group estime que ce chiffre est le double de la réalité. De même, afin d'empêcher les Hutus de se regrouper et d'envahir le Rwanda, l'ONU a proposé la création d'une force frontalière basée au Congo. Le gouvernement de M. Kabila accepte cette proposition ; pour montrer sa bonne volonté, il a déjà écarté 2000 Hutus rwandais de son armée et invité le tribunal international sur le génocide à enquêter. Mais le Rwanda la refuse.

    Nul ne suggère que les craintes des Rwandais soient infondées. Mais de nombreux observateurs affirment que le Rwanda et ses affidés rebelles ne poursuivent plus les génocidaires avec une passion ardente. Les réfugiés de Mwenga, une ville de la riche province minière du Sud Kivu, se plaignent du fait que leurs foyers ont été attaqués une dizaine de fois par des miliciens Hutus ces 2 derniers mois, mais la garnison rwandaise de la ville n'a rien fait. Les citadins ont demandé au commandant rwandais les raisons de cette inaction ; ce dernier a paraît-il répondu : "ce sont nos frères, pensez-vous que nous pouvons les tuer ?"

    Autre exemple, les camps hutus de la plaine de Ruzizi – toujours au Sud Kivu – sont bien connus des troupes rwandaises environnantes ; mais il ne sont que rarement ou même jamais attaqués, selon des fonctionnaires de l'ONU. Un commandant hutu local affirme que les Rwandais le réapprovisionnent régulièrement en armes. Ailleurs, d'après un officier supérieur rwandais ayant récemment demandé l'asile en Belgique, l'armée engage des miliciens hutus pour travailler dans ses mines de coltan. Il a ainsi déclaré au sénat belge qu'autrement ils pourraient être éradiqués "en moins d'un mois".

     
    En plus de sécuriser ses propres frontières, le Rwanda affirme protéger les Tutsis du Congo, la main d'œuvre de ses deux rébellions, des attaques des miliciens hutus ou d'autres Congolais. Mais même ce groupe s'oppose maintenant à l'occupation rwandaise. Au début de 2002, une brigade de Congolais tutsis se sont mutinés et ont rejoint leur terre tribale, dans les collines au-dessus du lac Tanganyika. Environ 1000 combattants rebelles ont déserté pour les rejoindre. Le Rwanda a rapidement envoyé 8000 soldats pour écraser la révolte, et semble maintenant détenir des villageois tutsis dans un camp stérile pour qu'ils cessent de nourrir les déserteurs. Tutsis contre Tutsis, voilà maintenant la plus vive bataille de la guerre.

    Avec des rebelles de rang intermédiaire passant au service du gouvernement, et des rebelles de haut rang susceptibles de suivre, le RDC pourrait être sur le point de se désintégrer. Le Rwanda a essayé d'empêcher par la force les désertions, et le massacre de Kisangani en a été un exemple. Si le RDC s'effondre, le Rwanda trouvera sans aucun doute une autre alternative pour dissimuler son occupation du Congo oriental. Et c'est ce qu'il a déjà commencé à faire, en déposant en juin le "gouvernement" RDC du Sud Kivu pour le remplacer par les leaders d'une milice plus malléable.



    Des atrocités systématiques


    A travers le Kivu, un pays de collines vertes digne des cartes postales, les villages sont à moitié désertés, les champs négligés et le bétail un pieux souvenir. Dans les forêts entourant Mantu, près de Bukavu, les villageois ont creusé des tranchées allant jusqu'à la taille et les ont recouvertes de branches ; lorsque les maraudeurs hutus approchent, comme presque chaque semaine, ils viennent s'y cacher.

    Les paysans de Ramba Chitanga, un village trop petit pour figurer sur une carte, racontent une histoire macabre. Lorsque le RDC est parti, les Hutus sont arrivés et ont accusé les habitants de nourrir leurs ennemis, puis les Mai-Mai ont attaqué. Durant la bataille qui s'est ensuivi, les Hutus ont amputé les mains d'une jeune femme de 29 ans nommée Janet Vumilia ; à présent, avec ses moignons en forme de quille, elle maudit les proches qu'ils ont assassinés : ses beaux-parents, son beau-frère, sa sœur enceinte et sa nièce.

    Les villageois affirment pouvoir distinguer les différentes factions par leurs actes. Selon eux, les Hutus sont plus vicieux que les Mai-Mai, alors que les rebelles sont davantage susceptibles d'enlever les enfants que les Rwandais. Mais les distinctions parfois s'effacent. Francine, une nouvelle mère de 14 ans, pense ainsi que le père de son bébé était un rebelle du RDC, mais il pourrait aussi avoir été un Mai-Mai, puisque des hommes des deux groupes l'ont violée. Lorsque son père a tenté de s'y opposer, les Mai-Mai lui ont tranché la gorge.

    Le bétail est aujourd'hui rarissime au Kivu, mais les prix se sont néanmoins effondrés. Les habitants calculent que s'ils achètent une vache, des hommes en armes vont la leur prendre, de sorte qu'ils ne le font pas. Les rebelles encaissent une "taxe sécuritaire" de 1 dollar par hutte, mais ce paiement ne semble pas réduire la probabilité que tôt ou tard des assassins s'infiltrent nuitamment.


    Dans l'hôpital de Walungi, près de Bukavu, 1200 patients se répartissent 300 lits et l'attention de 3 médecins. La moitié environ des pensionnaires sont relativement bien portants, mais trop terrifiés pour rentrer chez eux. Les peintures murales de l'hôpital mettent en scène des docteurs noirs en blouse blanche, et rappellent les espoirs perdus des années 60. A présent, les dispensaires sont pleins d'enfants noirs aux cheveux blonds, un symptôme de malnutrition. Agée de 32 ans, l'infirmière principale affirme n'avoir reçu que 3 mois de salaire dans toute sa carrière. Pourquoi donc continuer ? "C'est notre pays", dit-elle en haussant les épaules. "Il est tragique, mais c'est ainsi."


    Si le Rwanda avait été un occupant bénévole, il aurait pu en tirer profit sans voler. Au fur et à mesure que l'infrastructure du Congo s'est effondrée, ces 40 dernières années, la population à l'est du pays a renforcé ses liens commerciaux avec le Rwanda. Cette tendance s'est accélérée lorsque la guerre a fermé la rivière Congo, l'autoroute principale du pays, isolant l'est de Kinshasa. Si les Rwandais avaient construit une ou deux routes valables reliant le Congo oriental avec Kigali, leur propre capitale, ils auraient pu exploiter ce fait – au lieu d'assassiner et de piller. "Nous ne pouvions croire les choses que firent ces gens durant le génocide, jusqu'à ce qu'ils viennent et commencent à nous le faire", déclare une marchande à Bukavu, mêlant ensemble les assassins hutus et les envahisseurs tutsis.


    votre commentaire