• Plus de trente égyptologues en quelques années : la malédiction de Toutankhamon a-t-elle vraiment frappé ceux qui ont participé au viol de la dernière demeure du jeune pharaon ? Parmi tous les mystères de l’ancienne Égypte, celui de l’étrange pouvoir des formules rituelles, plus de 3000 ans après, est un des plus discutés…


      

    Dans une petite salle du musée du Caire, à quelques pas des galeries où se pressent les visiteurs, une dizaine d’homme retiennent leur souffle. Devant eux se tient, emmailloté dans plus de 400 mètres de bandelettes, la momie extraordinairement bien conservée de Ramsès II, le ((Ramsès Ouser-maât-Rê-Sété-pen-Rê)) des anciens Égyptiens, le "taureau puissant qui protège l’Égypte et châtie les pays étrangers, le Riche en âge, le Grand de victoires, l’Aimé d’Amon".

    L'instant est grave. Trois mille deux cents ans plus tôt, Ramsès. Il a été momifié pour son dernier voyage. Maintenant, il est là, avec son profil de rapace, son teint ambré, ses cheveux pâles, les yeux mi-clos, les mains croisées sur la poitrine…Autour de lui, quelques employés du département de chimie du musée, les descendants de ceux qui, trente deux siècles auparavant, servaient le pharaon aux mille temples, aux mille femmes et aux mille enfants.

    Avec mille précautions, en enlève les bandelettes. Le pharaon en a besoin : comme beaucoup de mortels, cet ancien dieu vivant est rongé de moisissures. Les champignons et les micro-organismes prolifèrent sur sa dépouille sacrée. Avant d’être emmené en France, au Centre de recherches nucléaires de Saclay, pour un traitement définitif au cobalt 60, il faut lui retirer tous les linges qui le recouvrent.

    Deux heures après, l’interminable bande de tissu est presque enlevée. Soudain, les dix hommes voient le bras souverain se relever brutalement, comme dans un geste de menace, et rester pointé vers le ciel…

    Fureur sacrée ou phénomène naturel ? Malgré les déclarations des scientifiques, qui leur expliquèrent que le bras de Ramsès, resté bloqué pendant trente-deux siècles contre la poitrine, avait retrouvé son mouvement naturel dans la chaleur du laboratoire, les employés égyptiens refuseront désormais d’intervenir en quoi que ce soit dans les opérations de manipulation des momies pharaoniques. Pour eux, "Ramsès II n’était pas mort". Il avait commencé à se venger!De nouveau, la phrase rituellement inscrite sur les tombeaux de tous les souverains égyptiens reprenait toute sa sinistre actualité. Elle était dans toutes les mémoires : "La mort abattra de ses ailes quiconque dérangera le repos du pharaon."

    La vengeance des pharaons ! Depuis les origines de la civilisation égyptienne, elle plane, comme une menace sourde, au-dessus de tous ceux qui se mêlent de troubler le dernier sommeil des momies, royales ou non. Après la découverte du trésor de Toutankhamon , en 1923, la rumeur de cette vengeance deviendra publique : le monde entier parlera de la main invisible qui semblait avoir frappé une trentaine de ceux qui, de près ou de loin, avait approché la dernière demeure du jeune pharaon.


    Récemment encore, au cours des années soixante-dix, plusieurs égyptologues seront frappés d’un mal mystérieux. Peut-on mettre toutes ces morts sur le compte de la fatalité? Existe-il un lien tragique entre tous ces étranges décès ? Bref, la malédiction des pharaons existe-t-elle ?

    Avant de répondre à toutes ces questions, il convient d’examiner dans quelles conditions cette malédiction a pu être lancée. Car elle existe bien, au moins dans la volonté de ceux qui, il y a trois mille ans, ont tenté de préserver les grands de leur monde du retour à la poussière originelle…

    Chez les anciens Égyptiens, en effet, la magie tenait une place considérable, qui se retrouve dans d’innombrables manuscrits. Magie noire et magie blanche étaient alors une manière naturelle d’envisager les relations entre l’homme et son milieu. Toute à la fois devin, astronome, chimiste ou médecin, le mage égyptien était respecté autant que consulté.

    Pour les mentalités de ce temps, pétries de paganisme plus que de rationalité, le monde n’était qu’un tissu de forces et d’énergies fondamentales qui faisaient réagir l’ensemble des vivants, des morts et même des choses inanimées. Les hommes, passés ou à naître, les dieux, les animaux, les plantes ou les minéraux étaient donc capables de penser. Par conséquent, on pouvait les influencer ou, par l’intermédiaire des mages et des magiciens, on pouvait tenter de traiter avec eux.

    Cette notion est essentielle pour comprendre la vraie nature de la malédiction des pharaons. S’il était possible d’exercer une quelconque influence sur le monde passé ou à venir, les mages et les prêtres pouvaient donc, au moyen de formules appropriées, protéger un lieu ou un homme contre d’autres hommes.Les Égyptiens imaginaient-ils que les tombes de leurs souverains pouvaient être profanés ? Gaston Maspéro, le père français de l’égyptologie scientifique, explique, dans ses Causeries d’Égypte, la manière dont les mentalités de l’époque percevaient les rapports entre le monde visible et invisible :

    "Les vivants se mêlent à ces forces obscures dans le savoir, les heurtent, les repoussent, les appellent, tantôt pour subir des influences mauvaises, tantôt pour recevoir d’elles des bienfaits. Beaucoup sont des divinités ou des génies qui n’ont jamais traversé l’humanité. Plus encore sont des âmes désincarnés, des doubles errants ou des ombres mécontentes, à qui leur condition d’outre-tombe n’a conservé aucun des avantages dont jouissaient pendant leur existence terrestre et que leur misère enrage contre les générations présentes."

    "Ils en veulent à ceux qui tiennent maintenant leur place de les délaisser comme eux-mêmes délaissèrent ceux qui les avaient précédés. Et ils cherchent à se venger de leur négligence en les attaquant à leur insu. Ils rôdent nui et jour par les villes et par les campagnes, quêtant patiemment quelques victimes et, dès qu’ils les ont trouvées, ils s’emparent d’elles par un des moyens à leur disposition. "

    Pour lutter contre les légions de démons malfaisants et implacables, les prêtres peuvent se livrer à des opérations magiques, à des purifications religieuses ou à des sacrifices. Ils peuvent, de surcroît, protéger les vivants par des talismans et par des amulettes : les sections égyptiennes des grands musées du monde entier sont pleins de ces scarabées, de ces colliers et de tous ces objets précieux dont les qualités artistiques enchantent encore nos yeux.

    La plus sûre des défenses contre les forces invisibles restait encore les formules magiques et les exorcismes. Grâce aux papyrus retrouvés dans les fouilles et aux inscriptions des temples, nous en connaissons des milliers, toutes plus poétiques les unes que les autres, mais également toutes plus horribles les unes que les autres. L’une d’elles fulmine ainsi :

    Tombe à terre ! Tombe à terre !
    Ô abomination venue de Sokaris !
    Tu as levé le bras contre l’œil de Râ
    Et tu as capturé le fils d’Horus.
    Cours vers Sekhmet :
    Qu’elle brûle tes chairs,
    Qu’elle tranche tes doigts,
    Qu’elle repousse la plante de tes pieds
    Loin de la terre d’Égypte !…


    Les prêtres poussaient si loin l’art de la malédiction qu’ils s’en prenaient parfois aux dieux eux-mêmes. Plusieurs papyrus magiques nous expliquent par leur menu les moyens de se débarrasser des divinités trop néfastes, avec des détails dignes des grimoires de nos sorcières du Moyen Age.

    Évidemment, pour les Égyptiens qui attachaient tant de prix à la vie dans l’au-delà, le viol des sépultures était un des crimes les plus odieux. Nous savons qu’ils essayaient de se préparer à une mort tranquille par des croyances très souvent affirmées à l’immortalité de l’âme, voire des corps. Pour eux, la mort était une nouvelle "vie", et ils garnissaient les tombes de leurs défunts de tout ce qui pourrait leur être utile pour le "voyage" vers cette nouvelle vie.

    Dès l’ancien Empire (à partir de 2600 ans avant notre ère), on trouve dans les tombes des avertissements à l’égard des voleurs et des pillards. Mieux : on trouve également des menaces contre ceux qui seraient tentés d’effacer les avertissements pour abolir leur "puissance" ! Contre les profanateurs, les châtiments sont variables, mais toujours exemplaires : la malédiction pour l’éternité après une mort atroce.

    Un document funéraire de la XXII e dynastie affirme : "Je m’emparerai de lui comme un oiseau. Je ferai que tous les humains qui sont sur terre craignent les esprits qui sont dans l’Amenti, lorsque les aura terrifiés le fidèle gardien de Nekhen." Cet oiseau de proie de Nekhen sera, par la suite, le symbole même de la vengeance des pharaons…

    Pas question non plus d’effacer le nom du défunt de sa tombe : pour les Égyptiens, "nommer" le pharaon était un moyen de le faire revivre, de le connaître. Marteler son nom, comme cela se fera après quelques règnes particulièrement pesants, c’était l’écarter à jamais du monde des vivants.


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