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Par CND STUDIO le 20 Novembre 2006 à 00:07
En moins de 200 ans un humble peuple nomade chassé par plus puissant que lui, devint le maître de la vallée de Mexico et de ses environs. Ils attribuaient leur succès à Huitzilopochtli et adoraient conter la glorieuse épopée de leur longue errance dans le désert.
À l'origine, les Aztèques ne sont pourtant qu'une tribu de nomades ou de semi-nomades qui se déplacent dans les steppes septentrionales du Mexique, vivant de la chasse et de la cueillette, et peut-être d'une agriculture épisodique.
A la suite d'autres Chichimèques (peuples «barbares» venus du Nord), ils se sont introduits, au XIIe siècle, sur le plateau central, haut lieu des civilisations mexicaines depuis le début de l'ère chrétienne (ainsi Teotihuacán, dont l'apogée se situe entre 300 et 600 après J.-C.). Des manuscrits aztèques, les codex, décrivent cette errance à partir d'un lieu légendaire, Aztlán, d'où la tribu tire son nom: Azteca signifie en effet, dans la langue nahuatl, « les gens d'Aztlán ».
Quand les Aztèques arrivent sur le haut plateau central, la brillante civilisation toltèque, établie autour de Tula depuis le Xe siècle, s'est déjà effondrée (chute de Tula en 1168), pour des raisons mal connues. Les Toltèques se sont dispersés sur le plateau et au-delà; les Chichimèques, civilisés à leur contact, également. Ils ont constitué des dizaines de petites seigneuries, dont les capitales ne sont séparées souvent que de quelques kilomètres. Chacune s'enorgueillit d'une ascendance toltèque, laquelle représente et ce jusqu'au XVIe siècle noblesse et légitimité. Les Aztèques sont les derniers venus dans la vallée de Mexico, occupée en son centre par un chapelet de lacs et de lagunes; ils trouvent toutes les bonnes terres prises et sont traités partout en parias.
Leur première tentative de sédentarisation a lieu à Chapultepec, sur la rive occidentale du grand lac de Texcoco. Mais les Aztèques s'attirent l'hostilité des cités voisines, qui se liguent pour les combattre. Décimés, ils doivent se réfugier au sud du lac, près de Colhuacán, vers 1299. Ils obtiennent du souverain local la permission de s'établir à proximité, sous condition de tutelle. Relégués sur des terres rocailleuses, asservis, ils profitent cependant de cette période de répit, qui durera quelques années, pour se «toltéquiser».
Chassés de nouveau, repoussés de toutes parts, ils sont refoulés au milieu des marécages du lac Texcoco, où ils vont s'établir définitivement, en 1325, sur un groupe d'îlots inhospitaliers. En effet, ils y découvrent le signe attendu de la «Terre promise» décrit par leurs prêtres-devins à l'origine de leur migration: un aigle posé sur un cactus, au milieu d'une végétation aquatique. Tenochtitlán (Mexico) est fondée.
L'empire aztèque se constitue en un peu plus d'un siècle. Par la guerre et la diplomatie, les anciens parias imposent leur hégémonie sur les petites seigneuries du haut plateau. En 1375, Acamapichtli devient le premier souverain aztèque; il est reconnu descendant de Quetzalcóatl, le roi-prêtre de Tula qui se confond dans la légende avec le dieu Quetzalcóatl, le Serpent à plumes. Le Cem-Anahuac, "le Monde Unique". A son apogée au début du XVIème siècle il reste quelques enclaves indépendantes dont Tlaxcala, république aristocratique et militaire farouchement opposée à Tenochtitlán. Les gouverneurs aztèques installés avec de fortes garnisons aux places stratégiques gardent les frontières de l'empire.
La "Triple Alliance" réunissait Tenochtitlán, Texcoco et Tlacopan. En cas de conflit, trois délégations d'ambassadeurs représentant les trois villes se rendaient successivement dans les cités auxquelles la Triple Alliance s'apprêtait à faire la guerre. À cette époque règnent sur la vallée deux autres puissances: Azcapotzalco, cité tépanèque avec pour souverain Tezozómoc, et Texcoco, ville fondée par les Toltèques à l'est du lac homonyme, que l'on surnommera l'«Athènes de l'Amérique» à cause de sa civilisation raffinée. Allié aux Mexicas, Tezozómoc, guerrier et fin stratège, réussit en 1418 à s'imposer à Texcoco. Mais un renversement d'alliance s'opère en 1426, lorsque Tenochtitlán et Texcoco s'unissent contre le nouveau dirigeant d'Azcapotzalco. L'ancienne puissance tombe en 1428, et Texcoco retrouve le tenant légitime de son trône. La Triple Alliance est désormais scellée pour un siècle entre les cités de Tenochtitlán, Texcoco et Tlacopan; elle sera bientôt dominée par Mexico, Tlacopan restant une comparse, alors que Texcoco s'affirmera comme un centre brillant des lettres et des arts.
En 1440, Moctezuma Ier succède à Itzcoatl. Fondateur de la grandeur mexica, Moctezuma, qui a alors quarante ans, entreprend très rapidement une guerre qui durera jusqu'à l'arrivée des Espagnols contre les peuples nahuas qui vivent de «l'autre côté des volcans», à l'est, dans la vallée de Puebla, où se trouvent les seigneuries indépendantes de Tlaxcala et Cholula. Ce combat perpétuel, surnommé la «guerre fleurie», n'a pas pour but de vaincre ni de soumettre, mais de capturer le plus de prisonniers possible, afin de les offrir en sacrifice aux dieux. En effet, le sang humain, «eau précieuse» rituellement versée, permet seul, dans la conception religieuse et la cosmogonie aztèques, la survie des dieux et la perpétuation du monde.
D'autres guerres entreprises par Moctezuma Ier et ses successeurs ont pour objectif d'étendre la domination aztèque sur les riches contrées tropicales du Sud, de l'Ouest et de l'Est qui regorgent de plumes chatoyantes, de pierres précieuses, de coton, de cacao: autant de denrées fort appréciées de la noblesse aztèque et absentes de la vallée de Mexico. Moctezuma Ier soumet peu à peu des villes importantes et des régions entières jusqu'aux confins du Guatemala actuel. Sous les règnes d'Ahuitzotl (1486-1502) et de Moctezuma II (1502-1520), la suprématie aztèque se renforce encore.
Fondée sur l'héritage toltèque, enrichie par l'apport des diverses cultures des pays soumis ou alliés de l'empire, animée surtout par le formidable dynamisme de son peuple, la civilisation aztèque a produit, dans de nombreux domaines, notamment artistiques, des œuvres remarquables et en 1519, le bassin de Mexico abrite entre 1 million et 1,5 million d'habitants, soit une densité de 200 h./km2, pour une superficie de terres cultivées qui ne dépasse guère les 3 000 km2. L'espace propice à la culture est en effet très réduit, à cause notamment de la faible épaisseur des sols, de l'érosion, de la présence de nombreux lacs et marécages. Le génie aztèque a su pourtant en tirer un profit maximal grâce à des techniques agricoles originales: fumage des sols avec des excréments humains et animaux, irrigation, dry-farming, élévation de terrasses. Mais le plus remarquable est sans doute la manière dont les Mexicas ont asséché une grande partie des lacs de la vallée et mis en valeur les marais au moyen des chinampas, radeaux de roseaux fixés par des pieux et couverts d'une couche de terre boueuse où sont plantés maïs, haricots, courges et piments.
L'agriculture du bassin de Mexico et celle des régions tropicales sous domination aztèque ont donné au Vieux Monde les ingrédients d'une révolution alimentaire: le maïs, une cinquantaine d'espèces de haricots, dont les haricots verts, les citrouilles, les oignons, les tomates (tomatl), les pommes de terre, les cacahuètes (tlacacahuatl), la vanille... À cette liste non exhaustive, il faut adjoindre une boisson faite avec la graine de l'amaxocoatl, connue sous le nom de «cacao» ou «chocolat», qui connaîtra un tel succès que les Espagnols en boiront même à l'église.
Le 18 février 1519, Hernán Cortés débarque au Yucatán accompagné de quelques dizaines de soldats. Le 13 août 1521, Tenochtitlán tombe sous ses assauts; le dernier empereur est capturé, les Aztèques sont décimés et soumis à jamais. On peut se demander pourquoi un État organisé à ce point pour la guerre et une civilisation aussi élaborée se sont effondrés comme châteaux de sable devant une poignée d'Espagnols. L'explication tient sans doute au décalage technologique (les Mexica n'ont ni épées de fer ni armes à feu). Elle tient aussi au pessimisme de la vision religieuse aztèque. Moctezuma II, scrupuleux et méditatif, très attentif aux présages, croit reconnaître dans les Espagnols qui arrivent sur la côte du Mexique les représentants de Quetzalcóatl, le roi-prêtre des Toltèques, le dieu-serpent à plumes dont le retour est annoncé par d'anciennes prophéties. De plus, l'année 1519 coïncide avec la fin d'un cycle calendaire de cinquante-deux ans, qui marque la suspension du temps. Ces êtres étranges, blancs, barbus et vêtus de fer, qui lancent la foudre et possèdent des chevaux, animaux que personne n'a jamais vus au Mexique, ont tous les caractères des dieux. Les Aztèques, prêts à les accepter comme tels, ne veulent que les honorer.
L'explication de la chute de Tenochtitlán réside enfin dans la complicité active des peuples voisins, soumis depuis trop longtemps à la puissance mexica, fatigués de donner leur fortune à son empereur, et leurs enfants à ses dieux. Les Totonaques et les seigneurs de Tlaxcala rejoignent Cortés, qui se présente devant Tenochtitlán (Mexico) avec une armée de plus de 30 000 indigènes. Moctezuma hésite: il cherche la preuve qu'il se trouve devant des dieux. Il reçoit les Espagnols et prépare pour eux des fêtes, en l'honneur, notamment, de Huitzilopochtli. Mais Cortés doit regagner la côte à la hâte pour combattre des émissaires de l'Espagne venus lui demander des comptes sur son épopée. Pendant ce temps, Alvarado, son lieutenant resté sur place, organise, sous on ne sait quel prétexte, le massacre de la foule venue assister à une cérémonie religieuse. À son retour, Cortés trouve la capitale aztèque en révolte; Moctezuma, tenu responsable de la situation, est tué par le peuple. L'insurrection progresse. Assiégés, Cortés et ses compagnons doivent se frayer un chemin hors de la ville; ils sont décimés par les guerriers aztèques enragés: c'est la Noche Triste (la Nuit Triste) du 30 juin au 1er juillet 1520. Cortés en réchappe pourtant. Il va reconstituer ses forces et réinvestir méthodiquement Tenochtitlán à partir de la fin de 1520. Le 13 août 1521, au milieu des ruines de sa ville dévastée par les canons, le dernier empereur aztèque se rend aux Espagnols. Il s'appelle Cuauhtémoc, l'«Aigle-qui-tombe», c'est-à-dire le Soleil couchant; le soleil aztèque s'éteint pour toujours.
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