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Le projet Manhatan
Le projet Manhattan
Les Etats-Unis commencèrent par fixer un programme nucléaire visant à coordonner les recherches jusqu’alors situées dans quatre centres principaux : les universités de Columbia, de Princeton, de Chicago et de Berkeley. Les étapes de ce programme étaient très claires : juillet 1942, assurance d’une possibilité de réaction en chaîne ; janvier 1943, première réaction en chaîne ; janvier 1945, bombe atomique. A six mois près pour la dernière étape, ce programme fut respecté.
A la mi-septembre 1942, le général Leslie Groves est contacté par le secrétaire à la Guerre : "Les recherches de base et leur développement sont chose faite ; vous n’avez plus qu’à prendre les projets encore à l’état d’ébauches et les mener à bonne fin, puis établir un plan pour créer une force opérationnelle. A ce moment, votre travail sera terminé et la guerre de même." Le général Groves va ainsi se trouver placé à la tête d’un groupe de techniciens et de savants qui comptait plusieurs prix Nobel. Tous les participants à ce qui porte à présent le nom de code "Projet Manhattan" sont réunis.
D’énormes crédits sont engagés, on recrute des milliers d’ingénieurs et de techniciens, parmi lesquels de nombreux émigrés d’Europe (sans doute encore plus sensibles à la menace d’une bombe allemande).
Les étapes du calendrier du projet Manhattan.
Phase n°1 : Assurance théorique d’une réaction en chaîne
Il s’agissait alors de trouver un élément qui serait capable de servir à la création d’une arme qui utiliserait l’énergie gigantesque (selon la Relativité) libérée par la fission nucléaire. Celui-ci devait répondre à deux critères : la facilité de production et la quantité de production. Deux voies se dessinèrent pour l’obtention d’un tel élément :
Celle de l’uranium : Niels Bohr a calculé qu’une seule variété (isotope) de l’uranium peut "fissionner", l’uranium 235. Mais celui-ci est rare : il faut le séparer du reste de l’uranium. L’obstacle paraît alors infranchissable.
Celle du plutonium : élément récemment découvert (car inexistant dans la nature), il vient d’être obtenu en bombardant de l’uranium. Mais le problème à celui-ci est aussi sa rareté : il faudrait le produire en quantité suffisante.
Toutefois, tous les éléments théoriques pour l’affirmation d’une réaction en chaîne avaient été observés. En fait, dès mars 1941, on avait écrit : "La première vérification de la théorie nous a donné une réponse totalement positive ; de ce fait, l’ensemble du projet paraît réalisable, à la condition que les problèmes techniques de séparation isotopique soient résolus d’une façon satisfaisante […]." Le dernier obstacle était la production en suffisance d’un matériau fissile.Phase n°2 : La première réaction en chaîne
Après avoir observé les preuves d’une telle réaction, il fallait la produire. L’expérience décisive intervient le 2 décembre 1942. A Chicago, Fermi construit la première pile atomique du monde qui produit de l’énergie grâce à la réaction en chaîne : il s’agit de la première réaction en chaîne. Celle-ci a permis la production d’un demi-watt d’énergie, ce qui très peu ! Mais la possibilité est démontrée expérimentalement : la Bombe n’est plus un rêve.
Bien évidemment, la réussite capitale donna une impulsion décisive à la réalisation du Projet Manhattan.
Néanmoins, subsistait toujours le problème de la production de matériau fissile. A cet effet, il fallait construire des usines permettant, d’une part, la séparation de l’uranium 235 hors de l’uranium ; et, d’autre part, la " création " de plutonium à partir de ce même uranium. Il fallait réussir à produire une quantité suffisante d’uranium et de plutonium. On construisit donc deux énormes complexes industriels :L’un à Oak Ridge, dans le Tennessee, pour la production d’uranium 235. On y construisit des énormes filtres dans lesquels seul le petit uranium 235 pouvait passer (diffusion gazeuse).
L’autre à Hanford, près d’un petit village sur les bords de Columbia, dans l’Etat de Washington. Complètement fermé sur l’extérieur, l’ensemble se présentait comme un bloc de béton de 250 m de long et 30 m de haut. On y séparait le plutonium de l’uranium.
Les deux ensembles d’extraction fonctionnèrent durant toute la durée du projet Manhattan afin de récolter des quantités suffisantes de matière.
Plusieurs hectares de "filtres", à Oak Ridge, pour isoler l'uranium 235.
Parallèlement, depuis mars 1943, une équipe de savants sous la direction de Robert Oppenheimer se livre, à Los Alamos (dans le désert du Nouveau-Mexique, près de Santa Fé), à l’étude de l’architecture de la bombe elle-même. Il s’agissait en fait d’un immense village construit de toutes pièces par l’armée américaine au milieu du désert. Là travaillèrent des centaines de physiciens dont plus de 20 prix Nobel ou futurs prix Nobel, ainsi que quelque 2000 techniciens et chercheurs (dont 600 militaires). Ils œuvrèrent dans le plus grand secret (les enfants nés sur place n’ont d’ailleurs pas de lieu de naissance sur leur carte d’identité !), toujours dans l’urgence et le stress (ce qui devait, aux yeux de l’armée, les inciter à la production). Les relations ne furent pas toujours roses entre officiers et savants.
A noter que le général Groves pilotait le Projet depuis ses bureaux de New-York ; et que les pilotes chargés de lancer les bombes atomiques étaient entraînés à la base d’entraînement de Wendover, Utah.
Phase n°3 : La bombe atomique
La capitulation allemande fut signée le 8 mai 1945. Mais celle-ci ne fit que ralentir l’espace d’une fête le Projet. Les scientifiques, encouragés par l’armée, continuèrent leurs recherches terminales : le projet Manhattan arriva à son terme en juillet 1945.
Son succès confirma les deux filières (uranium 235 et plutonium), comme dit plus haut. Les savants se trouvaient donc en possession de deux types de bombe. Effectivement, contrairement à l’idée reçue, il n’y eut pas une seule bombe atomique (aussi appelée "Bombe A"). Il y eut deux bombes atomiques : l’une fonctionnait grâce à l’uranium (celle qui sera larguée sur Hiroshima), l’autre grâce au plutonium (celle de Nagasaki, ainsi que Trinity — voir plus loin).
Les quantités de plutonium étaient supérieures à celles d’uranium. Il fut donc possible de construire deux engins au plutonium, et par conséquent de procéder à un essai : il s’agit de l’essai Trinity.
Grâce à ce cyclotron, les chercheurs de Berkeley, conduits par E. Lawrence (3° à g.),produiront de l'uranium 235.
Little Boy, qui pesait… 5 t,a explosé par collision entre les deuxcharges d'uranium (en rouge) ;Fat Man (à gauche), par compression du plutonium placé au centre.
Le premier essai atomique : Trinity
L’idée d’une explosion expérimentale n’était pas nouvelle. En 1940, les savants français avaient envisagé un essai au Sahara, et les Anglais avaient choisi une zone désertique de l’Australie. En 1944, le général Groves avait porté son choix sur Alamogordo (voir introduction), dans le désert du Nouveau-Mexique, à 350 km de Los Alamos, et à 35 km de l’agglomération la plus proche.
En un an, ce site était devenu un complexe de routes reliant des centres d’observation sous abris bétonnés, placés en auréole autour du "point zéro" ("ground zero" en anglais) où avait été édifiée une tour d’acier. Au sommet de celle-ci devait être placée la bombe en vue de l’opération Trinity (nom de code donné par Oppenheimer à l’expérimentation de la première bombe atomique).
Le 15 juillet 1945, alors que Little Boy (la bombe lancée sur Hiroshima) était embarquée à bord du croiseur Indianapolis à destination de Tinian (île où Little Boy et Fat Man furent entreposés), cent cinquante savants réunis à Alamogordo s’apprêtaient à assister à l’essai d’un des deux engins au plutonium, baptisé Trinity (l’autre étant Fat Man). Le montage des éléments de plutonium eut lieu sur place, et la bombe fut hissée au sommet de la tour.
A la nuit, les plus grands savants atomistes se rassemblèrent dans un abri bétonné, à 8 km du point zéro : Oppenheimer, Chadwick, Frisch, Lawrence,… Le 16 juillet, en fin de nuit, les conditions météorologiques furent considérées comme satisfaisantes : peu après 5 heures du matin intervint la première explosion nucléaire de l’histoire.
Un éclair aveuglant, encore insoutenable à 35 km, suivi d’une énorme détonation… "La région entière s’illumina sous une lumière éblouissante bien des fois supérieures en intensité à celle du soleil en plein midi. C’était une lumière dorée, pourpre, violette, grise, bleue. Elle éclairait chacune des crevasses, chacune des crêtes des montagnes voisines… Trente secondes plus tard, on entendit l’explosion. Le déplacement d’air frappa violemment les gens et puis, presque immédiatement, un coup de tonnerre assourdissant, terrifiant, interminable suivit, qui nous révéla que nous étions de petits êtres blasphémateurs qui avaient osé toucher aux forces jusqu’alors réservées au Tout-Puissant" (Général Farrel).Oppenheimer partageait ce pieux sentiment, et se souvint alors d’une parole d’un texte sanscrit : " […] ‘Maintenant, je suis devenu un compagnon de la mort, un destructeur de mondes.’ Oui, ces mots me remontèrent à la mémoire instinctivement, et je me rappelle aussi le sentiment de piété profonde que j’éprouvai." Le général Groves poursuit le récit : " […] Un nuage compact, massif se forma puis monta en fluctuations vers la hauteur avec une puissance effrayante. A la première explosion se succédèrent deux autres de moindre luminosité. Le nuage monta à une grande hauteur ; il prit une forme de globe, puis celle d’un champignon, puis s’allongea en forme de cheminée et finalement s’éparpilla en plusieurs directions sous les vents qui soufflaient aux diverses altitudes." Et le chef des essais, Kenneth Bainbridge, de murmurer très spirituellement à l’oreille d’Oppenheimer : " A partir de maintenant, nous sommes tous des fils de pute… "
La puissance de l’explosion fut évaluée à 20.000 tonnes de TNT. Cette opération Trinity couronnait un effort scientifique et industriel qui avait englouti 2 milliards de dollars. La Bombe devint immédiatement une arme diplomatique puisque le président Truman (qui venait de remplacer Roosevelt), qui se trouvait à la conférence de Potsdam, fut directement averti du succès de l’explosion expérimentale.
C’est ainsi que ce 16 juillet 1945 s’ouvrit l’âge nucléaire, et s’acheva la plus grande " course " à l’armement de tous les temps, le projet Manhattan. Les savants américains avaient devancé leurs homologues allemands.
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