• Guerre du Golfe:Le dernier combat de la division Tawakalna

    Plusieurs mythes concernant la Guerre du Golfe subsistent des années après son terme. L'un d'entre eux est que la guerre terrestre était une campagne high tech relativement simple ; un autre que la campagne aérienne avait détruit l'essentiel de l'armée irakienne ; et le troisième et plus important, que celle-ci n'a pas combattu, mais s'est simplement rendue à l'approche des forces coalisées. Cet article montre que l'armée irakienne, et particulièrement la Garde républicaine, s'est battue bravement mais stupidement face à la puissance irrésistible d'une armée américaine mieux équipée et mieux entraînée.

    La Garde républicaine irakienne constituait durant la Guerre du Golfe la meilleure force de frappe du président Saddam Hussein, et l'un des piliers de son régime. A sa formation dans les années 70 comme une petite force destinée à défendre la capitale et le président, seuls des hommes originaires de la ville natale de Saddam Hussein, Tikrit, étaient susceptibles d'y entrer. Pendant la guerre Iran-Irak, le régime a ouvert la Garde aux étudiants de l'Irak tout entier. La plupart de ces recrues, qui avaient apprécié leur renvoi de l'université, n'ont jamais pris part à la défense épuisante du front iranien. Leur entraînement spécifiquement offensif et leur grande motivation étaient évidents dans la victoire décisive de la péninsule de Fao.

     

    Le Haut commandement irakien a réentraîné, rééquipé et élargi la Garde républicaine, de sorte qu'en 1990 elle comptait 3 divisions blindées ou mécanisées et 5 divisions d'infanterie. Parmi les 3 premières figuraient la division mécanisée Tawakalna, qui a dû affronter tout le VIIe Corps US ; la division blindée Medina, qui a combattu la 1ère division blindée US dans l'après-midi du 27 février 1991, à l'ouest du champ pétrolifère d'Al-Ruqta ; et la division blindée Hammourabi, qui a accroché la 24e division mécanisée US à Al-Tawr al-Hammar, le 2 mars 1991, après le cessez-le-feu.


    Une négligence criminelle


    Les forces aériennes de la coalition ont commencé la guerre contre l'Irak le 17 janvier 1991. Utilisant chaque type d'appareil, du Jaguar français ou B-52 américain, elles ont soumis les cibles irakiennes à l'une des opérations aériennes les plus intenses depuis la Seconde guerre mondiale. A la date du 24 février, malgré les dommages infligés par la puissance aérienne à l'armée irakienne, Saddam Hussein n'avait pas ordonné à son armée de quitter le Koweït. La campagne de bombardement prit alors un caractère nouveau. En plus de poursuivre leurs raids en profondeur dans le territoire irakien, les pilotes coalisés commencèrent à fournir un appui aérien rapproché aux forces terrestres. Les avions d'attaque au sol A-10 Thunderbolt, les hélicoptères de combat de l'US Army et l'artillerie à longue portée se mirent également à pilonner les unités de l'armée irakienne au-delà de la portée des formations de front.

    Après six semaines de bombardements aériens, la guerre terrestre commença le 24 février 1991 par une attaque des forces de la coalition sur un front de 570 km. Cette coalition était divisée en deux commandements d'armée. A l'est, dans un secteur allant de la frontière koweïtienne occidentale à Koweït City, se trouvait le commandement des forces interarmées (Joint Forces Command, JFC) dirigé par le général et prince saoudien Khalid bin-Sultan. Cette armée comprenait trois corps d'armée, dont l'un composé essentiellement de Marines US, et les autres de soldats provenant d'Egypte, de Syrie, d'Arabie Saoudite et d'autres pays musulmans. A l'ouest, la IIIe Armée US du lieutenant-général John J. Yeosock était composé de deux corps d'armée, le XVIIIe et le VIIe. Ce dernier avait à sa tête le lieutenant-général Frederick M. Franks, qui comprenait la 1ère division blindée britannique, la 1ère division blindée US, la 3e division blindée, la 1ère division d'infanterie et le 2e régiment de cavalerie blindé. Durant cette phase de l'offensive terrestre, la 1ère division cavalerie formait la réserve opérative du général H. Norman Schwarzkopf, commandant en chef du Central Command.

     
    Jusqu'à l'après-midi du 26 février, les forces coalisées avaient progressé au sud du Koweït et s'étaient arrêtées dans les faubourgs de la capitale. Plus à l'ouest, dans le désert entre Al-Salman et Al-Nasiriyya, le XVIIIe Corps US n'avait rencontré qu'une opposition mineure et se dirigeait vers la vallée de l'Euphrate. Au centre du front de l'attaque, le VIIe Corps US de Franks avait enfoncé les faibles défenses du VIIe Corps irakien et avait bifurqué du nord à l'est en prévision de la bataille culminante contre le Corps d'armée de la Garde républicaine (CAGR). Flanc-garde droite du VIIe Corps US, la 1ère division blindée britannique continuait à écraser le VIIe Corps irakien. Au centre, le 2e régiment de cavalerie US menait la 3e division blindée et la 1ère division d'infanterie directement sur la Garde républicaine. Sur le flanc gauche, la 1ère division blindée US avait capturé la vaste installation logistique d'Al-Busayya et avait poursuivi à l'est, presque en ligne avec la 3e division blindée.


    La division mécanisée Tawakalna du CAGR était positionnée environ 40 km à l'ouest de la frontière koweïtienne, située exactement au centre du fuseau attribué au VIIe Corps US. La Tawakalna était probablement la meilleure division de l'armée irakienne. Elle avait brillamment combattu pendant la guerre contre l'Iran et constituait l'une des divisions de tête dans l'invasion du Koweït, en août 1990. Ses deux brigades mécanisées et sa brigade blindée étaient équipées avec les systèmes les plus performants des forces irakiennes, et comprenaient 220 chars de combat T-72 et 278 véhicules de combat d'infanterie. Le 25 février, elle avait fait mouvement pour prendre une position d'arrêt à l'ouest du pipeline de l'Iraq Petroleum Saudi Arabia (IPSA), à quelque 130 km de Koweït City. Malgré la campagne aérienne, l'essentiel de la division était en position et prête au combat lorsque le VIIe Corps entra en contact, le 26 février 1991.

    Ni le gouvernement irakien, ni le gouvernement américain n'ont rendu public le nom du commandant de la division Tawakalna. Il est très probablement tombé à la tête de ses troupes, dans l'effort futile de barrer la poussée irrésistible à travers ses positions. Les rapports d'observation américains, les rapports de situation et l'analyse des équipements irakiens détruits permettent d'examiner les différentes phases de la bataille, qui consistait en plusieurs actions distinctes mais liées : les attaques de l'avant-terrain de la Tawakalna, de son secteur de combat principal, de chacun de ses flancs, ainsi que de son secteur arrière. Le choc et la surprise de cette attaque massive dans plusieurs directions ont fait que la division Tawakalna n'avait d'autre choix que se rendre ou combattre et mourir sur place – et elle a choisi la deuxième option.

     

    La bataille de l'avant-terrain


    Le premier contact entre les éléments de la Tawakalna et les forces coalisées eut lieu dans l'avant-terrain de la division, qui était large d'environ 10 km et dans lequel une force de sécurité devait être capable de surveiller, fractionner et ralentir les formations de tête adverses. C'est dans ce secteur que le commandant du Corps de la Garde républicaine avait essayé de déployer au moins deux brigades de 12e division blindée irakienne dans la nuit du 24 février 1991, pour faire office de force de couverture. Mais aucune de ces deux brigades ne parvint à prendre position, parce qu'elles furent écharpées par le 2e régiment de cavalerie US et la 3e division blindée.

    Pour découvrir ce qu'il se passait, le commandant de la Tawakalna envoya son bataillon de reconnaissance à la rencontre de l'ennemi. Les rapports initiaux, que le commandant irakien avait reçus de différentes sources, indiquaient que les forces en approche appartenaient à la 6e division blindée légère française. Dans la matinée du 26 février, toutefois, le commandant de la Tawalkana avait reçu suffisamment d'informations pour savoir qu'il n'affronterait pas les Français. Le service de renseignement irakien avait correctement localisé la division Daguet à l'ouest du fuseau d'attaque. Depuis la réception de ce rapport, toutefois, celle-ci avait franchi 75 kilomètres supplémentaires à l'ouest et assurait le flanc gauche de la Coalition.

     
    Durant la nuit, le commandant de la Tawakalna avait engagé un bataillon renforcé dans son avant-terrain. Organisée en points d'appui de compagnie et de section, cette formation devait fractionner l'attaque américaine, la ralentir et informer le commandant de division quant à la nature de l'avance ennemie. Ces forces furent néanmoins incapable de stopper celle-ci. Pendant toute la journée, la 3e division blindée et le 2e régiment de cavalerie blindée détruisirent ces postes avancés. Du côté américain, la 3e blindée avait 316 chars de combat Abrams, 285 véhicules de combat d'infanterie Bradley et plus de 17'000 soldats, alors que le régiment de cavalerie avait engagé environ 39 VCI et probablement 10 chars. Du côté irakien se trouvaient également les restes d'un bataillon de chars de la 12e division blindée, avec peut-être 20 chars. Le nombre total de soldats irakiens impliqués dans l'engagement devait s'élever à environ 2000.


    Derrière ses éléments de sécurité, le commandant de la Tawakalna avait déployé ses trois brigades lourdes au-delà de la route du pipeline IPSA, qui constituait l'une des principales voie de ravitaillement dans le théâtre d'opérations koweïtien. Sur le flanc gauche, il engagea la 18e brigade mécanisée ; au sud de celle-ci, et devant un important dépôt logistique situé au bord de la route du pipeline, soit 20 km au nord de la frontière avec l'Arabie Saoudite, se trouvaient les éléments résiduels de la 37e brigade blindée appartenant à la 12e blindée. Le centre du dispositif de la Tawakalna était tenu par la 9e brigade blindée renforcée par des restes de la 50e brigade blindée, qui comme la 37e avait été en partie décimée dès le début des combats. Le flanc droit de la division était défendu par la 29e brigade mécanisée, qui n'avait aucune unité externe pour protéger ses propres flancs. De la sorte, les forces américaines étaient libre de l'attaquer à partir du nord sans crainte d'affronter des unités irakiennes préparées à mener une défense solide.

     

    La bataille de 73 Easting


    La bataille majeure commença dans le flanc gauche de la Tawakalna, face à la 18e brigade mécanisée. Le 26 février 1991 à 1530, le 2e escadron du 2e régiment de cavalerie US arriva à proximité du secteur de combat principal de la Tawakalna et détruisit 3 chars T-72. Quelques instants plus tard, il heurta de front un point d'appui bataillonnaire de la 18e mécanisée irakienne. Ces points d'appui se composaient de véhicules enterrés, de soldats en position, de barbelés, de panneaux de mines et de zones de feu préparées. Dans la plupart des cas, les unités irakiennes occupaient de bons emplacements, mais n'avaient pas aménagé leurs positions autant que nécessaire. Dans ce qui appelé plus tard la bataille de 73 Easting, le 2e escadron mena l'assaut. Ce fut une bataille courte et violente : les véhicules irakiens explosaient sous l'impact des obus de 120 mm, alors des sections d'exploration US suivant les chars M1 protégeaient ceux-ci contre l'infanterie irakienne. Lorsque le 2e escadron parvint à l'arrière du point d'appui, les Irakiens déclenchèrent une contre-attaque courageuse mais inefficace. En 23 minutes, une compagnie de l'escadron US détruisit à elle seule la moitié du bataillon irakien.


    Le 3e escadron du régiment progressait au sud du 2e et attaqua le secteur sud du même point d'appui peu après 1530. Les Irakiens lancèrent à 1645 une contre-attaque contre le 3e escadron avec une compagnie de chars T-72. Ces derniers ouvrirent le feu à 2500 mètres de distance sur les Bradleys de cavalerie, mais la portée était trop élevée et leurs obus frappèrent le sol juste devant leurs cibles. Les Irakiens ne purent envoyer beaucoup de salves supplémentaires, car les M1 bondirent en avant et détruisirent à environ 2100 mètres la plupart des T-72.

     
    L'attaque américaine devait avoir surpris le bataillon irakien, car les équipages étaient hors de leurs chars et de leurs VCI en raison du danger d'attaque aérienne. En principe, le commandant de division devait alors savoir qu'il était sur le point d'être attaqué par une force supérieure, par l'intermédiaire de ses formations de sécurité et, on pourrait l'espérer, par le Haut commandement irakien ou le quartier-général du CAGR. L'information ne fut toutefois pas transmise aux échelons inférieurs, et notamment aux équipages de véhicules blindés, puisque personne ne donna l'ordre à ce bataillon de se préparer à un combat imminent. Au mieux, la vitesse de l'offensive américaine était plus rapide que le processus de décision de la division Tawakalna ; au pire, aucun membre des états-majors irakiens ne pensa à dire aux unités de front de se préparer.

    Les formations de cavalerie US attaquèrent si violemment que les Irakiens n'eurent jamais le temps de retourner dans leurs véhicules. Par ailleurs, le bataillon irakien n'avait pas préparé ses positions de manière optimale : les obstacles étaient de toute évidence incomplets, et seule une partie des mines avait été disposée. Basées sur les expérience de la guerre avec l'Iran, les positions défensives irakiennes avaient une grande quantité de mines, de fil barbelé et d'autres obstacles pour stopper l'attaquant. Ils enterraient profondément leurs véhicules, en ne laissant que les tourelles émerger pour localiser et engager des cibles. Malheureusement pour elle, la division Tawakalna ne fut pas capable d'établir entièrement son dispositif. Les raisons peuvent avoir été le manque de temps, l'effet des avions coalisés survolant le secteur, ou encore le manque de matériel comme les mines et le fil barbelé.

    Les ordres du lieutenant-général Franks au colonel Don Holder, le commandant du 2e régiment de cavalerie blindée, étaient d'éviter un engagement décisif. Les hommes de Holder avaient détruit avec succès un point d'appui bataillon, mais au moins 6 ou 7 bataillons supplémentaires attendaient le régiment, qui n'avait pas les moyens de percer les défenses de la Tawakalna. Holder ordonna par conséquent à ses escadrons de tenir leurs positions actuelles et de se préparer à laisser passer la 1ère division d'infanterie, qui avait progressé derrière le régiment.

    La défense fougueuse de la division Tawakalna a néanmoins démontré que la Garde républicaine n'a pas entamé le combat déjà défaite. Elle n'a pas fui, et s'est battue avec un courage extrême. Les rapports de combat américains ont souligné la bravoure des défenseurs. Cette division avait un bon équipement, mais elle ne savait pas comment l'employer pleinement. Par exemple, ses hommes ignoraient la manière d'engager leurs moyens pour renforcer la sûreté, permettant au 2e de cavalerie US d'établir le contact avec eux sans être détecté. De même, les soldats irakiens étaient régulièrement incapables de toucher les cibles qu'ils visaient avec leurs chars et leurs missiles guidés antichars. La division Tawakalna n'a que rarement utilisé efficacement son artillerie ou sa DCA.

    Mais elle fut surtout et simplement submergée : c'est l'application la doctrine Airland Battle de l'US Army, exécutée par des soldats entraînés, équipés et motivés de manière optimale, qui a vaincu les forces irakiennes. A l'aube du 27 février 1991, la division d'infanterie mécanisée Tawakalna avait cessé d'exister. Avec sa destruction, le lieutenant-général Franks pouvait concentrer la puissance du VIIe Corps sur les autres divisions lourdes de la Garde républicaine. Bien que la division Medina ait combattu la 1ère division blindée US, le Haut commandement irakien ordonna à la division Hammourabi de faire mouvement au nord, en franchissant l'Euphrate, pour s'éloigner de l'offensive américaine à l'ouest. La résistance de la division Tawakalna donna au reste de l'armée irakienne le temps nécessaire pour retirer la plupart de ses forces mécanisées jusqu'à Bassorah.


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